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Full text of "Eugène Laermans"

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CONTEMPORA 


:    i  j^ii  HEDEN 


6- 

EUGÈNE  LAERMANS 

PAR 

GUSTAVE  VANZYPE 


EUGÈNE  LAERMANS 


Exemplaire  numéroté  pour 
Monsieur  M.  HUFFMANN 


Genummerd  exemplaar  voor 
den  Heer  M.  HUFFMANN 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2013 


http://archive.org/details/eugnelaermansOOvanz 


EUGENE  LAERMANS 

d'après  un  rORTRAIT    PEINT    PAR  LUI-MKMI'. 


EUGÈNE  LAERMANS 


PAR 


G.  VANZYPE 


COLLECTION 
DES  ARTISTES  BELGES 
CONTEMPORAINS 


BRUXELLES 
LIBRAIRIE  NATIONALE  D'ART  ET  D'HISTOIRE 

G.  VAN  OEST  &  C 
1908 


A       &  M'"^  JOSEPH  LAEREMANS 


I. 


Faut-il,  pour  faire  œuvre  d'art  personnelle,  originale  et 
neuve,  œuvre  d'art  portant  la  marque  d'une  individualité  et 
celle  d'un  temps,  faut-il,  pour  accomplir  cette  œuvre,  tout 
renouveler  et,  systématiquement,  s'éloigner  de  toute  tradition, 
se  garder  de  tout  moyen  d'expression  rappelant  les  indivi- 
dualités et  les  temps  dont  on  continue  la  tâche  ? 

Toutes  les  grandes  querelles  esthétiques  de  notre  époque 
sont  dans  ce  problème;  elles  s'agitent  entre  l'abandon  complet 
du  langage  du  passé  et  l'adaptation  de  ce  langage  à  la  vision, 
à  la  pensée,  à  la  sensibilité  d'à  présent. 

Il  est,  à  notre  époque,  trois  grandes  catégories  de  pein- 
tres :  la  plus  nombreuse  et  la  moins  intéressante  est  formée 
par  ceux  qui  n'apportent  rien  de  neuf,  ni  dans  la  facture,  ni 
dans  la  pensée.  Il  en  est  une  qui  cherche  une  facture  nou- 
velle. Il  en  est  une  autre  qui  veut  exprimer  des  émotions 
de  nuance  inédite  dans  une  langue  depuis  longtemps  parlée, 
renouvelée  seulement  par  la  variété  infinie  que  peut  donner 
la  combinaison  de  ses  éléments. 

Parmi  les  artistes  de  cette  dernière  catégorie,  il  en  est 
encore  de  deux  sortes  :  les  uns  expriment  en  une  forme  raf- 
finée de  l'émotion  rare,  accessible  seulement  à  quelques-uns. 


I 


de  l'émotion  intellectuellement  aristocratique,  qu'ils  veulent 
fermée  à  tout  ce  qui  n'a  pas  subi  la  culture  de  l'élite  avertie  ; 
les  autres  tentent  de  toucher  de  leur  émoi,  par  de  la  beauté 
plastique  forte  et  familière,  la  sensibilité  des  foules  d'aujour- 
d'hui et  de  demain  ou  tout  au  moins  de  tous  ceux  qui,  au 
sein  de  ces  foules,  ont  des  curiosités  éveillées. 

Ces  derniers,  en  dépit  de  leur  fidélité  à  certaines  formes 
du  passé,  sont  le  mieux  de  leur  temps.  Ce  temps,  en  effet,  n'est 
point  aristocratique.  Toute  la  pensée  dont  il  frémit  formi- 
dablement, est  obstinément,  douloureusement  tendue  par  la 
volonté  de  donner  à  tous  le  plus  possible  de  tous  les  fruits 
de  la  terre  de  toutes  les  joies  humaines,  de  tout  le  réalisable 
bonheur.  L'art  le  plus  conforme  à  l'esprit,  aux  aspirations, 
à  l'idéal  de  la  société  contemporaine,  et  par  conséquent  celui 
qui  reflète  le  plus  fidèlement  cet  âge  de  l'humanité,  s'inspire 
du  même  désir  éperdu  de  large  communion.  Sans  doute,  l'Art 
ne  peut  jamais,  sans  déchoir  en  des  concessions  destructives 
de  sa  grandeur,  mettre  toutes  ses  intentions  à  la  portée  de 
tout  le  monde;  mais  il  peut  dédier  à  tous  ses  préoccupations; 
et  ses  exaltations  peuvent  s'exprimer  en  un  langage  simple, 
en  le  langage  le  plus  généralement  connu.  Le  discours  le  plus 
puissant  est  celui  dont  la  sonorité  le  plus  loin  se  prolonge. 
Et  l'œuvre  qui,  en  même  temps,  fait  rêver  le  mandarin  et 
trouble,  même  confusément,  l'homme  inculte,  est  supérieure 
à  celle  qui  atteint  seulement  le  premier,  est  en  tous  cas  plus 
près  des  volontés  ardentes  du  temps  présent,  de  son  espoir 
généreux,  de  sa  religion  naissante. 

Notre  époque  a  donné  à  l'Art  une  large  place.  Elle  recon- 
naît que  la  collectivité  lui  doit  de  la  sollicitude.  11  accepte 


2 


Dessin  vdi-r  lvs  Plî-urs  nu  Mal 


cette  sollicitude  et  revendique  le  respect.  C'est  reconnaître 
qu'il  n'est  point  seulement  une  source  de  jouissances  égoïstes 
pour  quelques-uns,  que  son  rôle  n'est  pas  seulement  d'appor- 
ter un  peu  de  volupté  à  une  élite  restreinte  en  des  œuvres 
énigmatiques  volontairement  fermées  au  plus  grand  nombre. 

Sans  doute,  c'est  toujours  une  élite  que  l'Art  atteint.  Son 
émotion,  sa  pensée  ne  sont  jamais  accessibles  à  tous.  Mais 
doit-il  systématiquement  limiter  le  nombre  de  ceux  qu'il 
fera  frémir,  en  exprimant  ces  émotions  et  cette  pensée  en  un 
langage  compliqué  et  renouvelé  constamment  ?  En  ce  faisant, 
traduira-t-il  les  volontés  et  les  préoccupations  de  notre  temps? 
II  ne  l'a  pas  fait  à  des  âges  de  l'humanité  où  toute  la  conscience 
de  celle-ci  semblait  enfermée  en  quelques  hommes,  où  une 
aristocratie  entretenait  le  rêve  orgueilleux  d'être  seule  agis- 
sante. Il  le  ferait  en  un  temps  où  tous  les  efforts  tendent 
à  la  diffusion  des  connaissances  humaines,  à  la  participation 
de  tous  au  savoir  et  à  l'action  !  A  cette  heure-là,  il  s'attar- 
derait à  exprimer  des  choses  éprouvées  et  comprises  seule- 
ment par  quelques  privilégiés  admis  à  une  initiation  particu- 
lière ! 

Le  rôle  de  l'Art  au  xx«  siècle  n'est  point  là.  L'Art 
s'adresse  à  tout  le  monde.  Evidemment,  tout  le  monde  ne 
pénétrera  pas  toutes  ses  significations  subtiles  ou  profondes. 
Mais  il  aura  fait  ce  qu'il  pourra  en  se  servant  d'une  langue 
depuis  longtemps  connue  par  tous  et  dont  les  termes  sont  à 
tous  familiers.  M.  Bergeret  se  sert  des  mêmes  mots  que  les 
héros  de  Molière.  Et  personne  ne  songera  à  reprocher  à 
M.  Bergeret  de  n'avoir  pas  des  idées  très  personnelles  et  très 
neuves.  La  personnalité  est  dans  ce  qu'on  exprime  par  les 


3 


mots,  dans  les  nuances  fournies  par  leurs  combinaisons,  et 
non  dans  ces  mots  eux-mêmes.  Chez  le  peintre,  la  personna- 
lité n'est  point  dans  la  facture,  dans  l'incessant  renouvellement 
de  celle-ci,  mais  dans  les  nuances  de  sensibilité  que  par  elle 
on  traduit.  Comme  le  discours  le  plus  éloquent  est  celui  qui 
dit  le  plus  de  pensée  à  l'aide  des  vocables  les  plus  usuels  et 


par  conséquent  les  plus  clairs,  la  peinture  la  plus  expressive 
est  celle  qui  fait  surgir  de  la  beauté  neuve  et  élevée  de  la 
matière  et  des  formes  les  plus  familières.  Cet  art-là  servira 
le  plus  puissamment  la  beauté  puisqu'il  élargira  le  cercle 
des  hommes  à  elle  accessibles.  Et  il  sera  le  plus  moderne,  le 
plus  adéquat  au  vouloir  de  notre  temps,  puisqu'il  contribuera 
à  multiplier  les  hommes  frémissant  d'un  même  émoi. 

Malgré  les  entraînements  d'une  intelligence  hardie,  cul- 


4 


tivée,  très  attirée  par  le  nouveau,  Eugène  Laermans  est 
demeuré  fidèle  à  cette  conception  de  l'art  ;  il  y  est  resté  atta- 
ché tout  naturellement,  sans  effort,  sans  lutte,  sans  raison- 
nement, je  crois,  parce  qu'il  lui  a  paru  toujours,  sans  qu'il 
fallût  pour  cela  un  débat,  qu'il  en  devait  être  ainsi.  Un 
désastre  a  tenu  l'artiste  strictement  enfermé  dans  son  milieu 
originel  :  à  onze  ans,  à  la  suite  d'une  fièvre  typhoïde,  il  est 
devenu  complètement  sourd.  Une  longue  conversation  avec 
lui  est  impossible  pour  d'autres  que  ses  proches  et  ses  amis 
très  intimes,  et  reste  difficile  même  pour  ceux-là.  Tout  jeune, 
l'artiste  a  donc  échappé  complètement  à  toutes  les  influences 
intellectuelles  autres  que  celles  des  livres.  Il  n'a  pas  connu  les 
camaraderies  d'artistes,  les  longues,  les  fougueuses  disserta- 
tions des  cénacles  où  la  jeunesse  s'exalte  dans  l'orgueil  de 
penser  librement  et  où  les  convictions  se  basent  sur  les 
paradoxes  adoptés  pour  le  pittoresque  imprévu  de  leur  forme 
et  l'audace  de  leur  nouveauté,  où,  insensiblement,  les  esprits 
s'aristocratisent  dans  la  fierté  de  se  sentir  supérieurs. 

Il  a  échappé  à  cela.  Même  lorsqu'il  était  à  l'Académie 
de  Bruxelles,  dans  la  classe  de  Portaels,  au  milieu  de  ses 
condisciples  il  était  seul.  Il  ne  subissait  point  la  présence  des 
déclamations  exaltantes,  des  rêves  de  gloire  dédaigneuse  ;  il 
n'entendait  point  les  discours  enflammés  et  méprisants  à  la 
foule  incompréhensive  et  les  dissertations  subtiles  sur  le  raffi- 
nement. Il  était  seul  dans  le  silence,  vivait  seulement  par 
les  yeux,  par  ce  regard  ardent  où  couvaient  une  passion 
farouche  et  une  raillerie  énigmatique.  Et  quand  ses  camarades 
s'en  allaient  par  groupes  bruyants,  lui  partait  seul  vers  le 
faubourg,  vers  la  maison  paternelle.  11  allait  travailler  encore. 


5 


et  lire,  lire  avidement.  Mais  toujours  il  était  seul,  tout  seul 
avec  l'auteur  qu'il  lisait.  Entre  eux  ne  s'interposait  nul  com- 
mentaire étranger;  ce  qu'il  lisait,  il  l'appréciait  sans  que  nulle 
suggestion  influençât  son  jugement.  Du  livre,  il  ne  parlait  avec 
personne  ;  sa  sensibilité  devant  lui  demeurait  intacte,  libre 
des  ivresses  de  discussion  où  les  enthousiasmes  s'exagèrent, 
où  les  impressions  se  transforment. 

Devant  Baudelaire  ou  devant  Taine,  devant  Verlaine  ou 
Ruskin,  Eugène  Laermans  fut  toujours,  sans  autres  influences, 
le  fils  des  modestes  et  laborieux  bourgeois  flamands  du  fau- 
bourg de  Molenbeek-Saint-Jean,  ce  fils  différent  des  parents 
seulement  par  la  volonté  éperdue  d'être  un  artiste,  mais  ayant 
gardé,  intacts,  leur  bon  sens  calme,  leur  conscience  claire, 
leur  crâne  et  tenace  et  simple  acceptation  des  liens  sociaux. 

A  quarante  ans,  il  vit  encore  dans  la  paisible  maison  de 
la  chaussée  de  Gand  où  il  est  né,  entre  les  deux  êtres  qui 
veillèrent  sur  son  enfance  :  son  père  Jean-Joseph  Laeremans, 
—  l'artiste  a  fait  de  ce  nom  Laermans,  —  né  à  Bruxelles  le 
18  novembre  1828;  sa  mère,  Catherine  Wets,  née  à  Berchem- 
Sainte-Agathe,  le  25  décembre  delà  même  année. Ceux-ci  ont 
pu  vieillir  :  ils  n'ont  pas  changé  moralement,  pas  plus  que  ne 
s'est  modifié  l'aspect  patriarcal  de  la  maison  où  le  fils  n'a 
point  tenté  d'introduire  de  nouvelles  habitudes. 

Le  père  et  la  mère  sont  de  cette  forte  race  brabançonne 
en  laquelle  a  toujours  régné  le  bon  sens  calme  et  qui,  dans  les 
épreuves  et  les  résistances  communes,  souffertes  et  livrées 
vaillamment  à  travers  les  siècles,  a  puisé  et  maintenu  une 
conception  obscure  mais  vigoureuse  de  la  solidarité,  du  lien 
nécessaire. 


6 


Pan  (eau-forte) 


Il  y  a,  au  fond  de  cette  race,  entretenue  par  le  souvenir 
de  longues  luttes,  une  aversion  railleuse  pour  ce  qui  tend  à  se 
mettre  au-dessus  du  rôle,  des  obligations,  du  devoir  de  tous, 
pour  tout  ce  qui  rappelle  les  prétentions  du  patriciat.  Si  cette 
bourgeoisie  qui  descend  des  artisans  des  corporations  de  jadis 
ou  des  paysans  qui  résistèrent  au  seigneur,  est  accessible  à 
l'ambition,  cette  ambition  cherche  à  se  satisfaire  surtout  par 
les  dignités  que  la  collectivité  confère  et  qui  rappellent  les 
anciens  postes  de  combat  confiés  par  une  démocratie  inquiète 
aux  plus  courageux  et  aux  plus  vigilants.  Dans  ce  monde-là, 
l'orgueil  de  l'effort  est  très  vivant,  la  fierté  d'être  élu  est  très 
convoitée,  mais  il  n'y  a  point  de  privilège  d'origine  ;  et  tous 
les  souvenirs  héroïques  sont  des  souvenirs  d'âpre  bataille 
contre  ceux  qui  voulurent  imposer,  au  nom  d'un  tel  privi- 
lège, leur  autorité. 

Cet  esprit  est  encore  très  tenace  dans  cette  partie  surtout 
du  pays  de  Bruxelles  que  ne  peuplent  point  les  fonctionnaires 
et  les  rentiers.  Des  incidents  politiques  relativement  récents 
l'ont  manifesté.  Il  y  a  quatorze  ans  seulement  que  la  garde 
civique  de  Molenbeek,  composée  pourtant  de  bourgeois  con- 
servateurs, refusa  son  concours  au  pouvoir  central  pour  la 
répression  d'un  mouvement  populaire.  Ce  qui  la  guidait, 
c'était  évidemment  l'esprit  survivant  de  la  solidarité  avec  la 
foule. 

Dans  un  tel  milieu,  dans  un  tel  monde,  le  sentiment 
aristocratique  n'existe  point,  ou  ne  peut  atteindre  que  les 
intelligences  très  médiocres.  Et  généralement  le  bourgeois  de 
ce  milieu  que  la  vanité  prend,  émigré,  s'éloigne  du  quartier, 
du  faubourg  où  le  peuple  est  trop  près  de  lui. 


7 


Les  parents  de  Laermans  sont  demeurés  là,  attachés  à  ce 
coin  où  l'activité  urbaine  est  proche  encore  des  campagnes 
qui  lui  apportèrent  ses  forces,  de  ces  belles  et  rudes  campagnes 
brabançonnes  dont  les  paysans  ont  insensiblement  peuplé  le 
faubourg.  Ce  faubourg,  pauvre  et  besogneux,  ils  l'aiment, 
ils  l'aiment,  peut-être  inconsciemment,  pour  l'atmosphère 
de  labeur  qui  toujours  y  règne,  pour  le 
voisinage  de  simplicité  dans  lequel  on  y 
vit.  Le  luxe,  ses  raffinements  dont  la 
poursuite,  dès  qu'on  l'entame,  ne  sera 
jamais  satisfaite,  ne  laissera  plus  une  heure 
de  sérénité,  y  sont  ignorés.  Ce  que  veulent 
conquérir  les  efforts,  c'est  l'abondance  et 
la  sécurité.  L'homme  riche  est  celui  qui, 
le  soir,  la  tâche  accomplie,  retrouve,  dans 
la  maison  chaude,  où  les  armoires  sont 
pleines  de  linge  et  de  confitures,  le  fau- 
teuil, au  coin  du  feu,  et  sur  la  table,  à 
côté  du  verre  de  vin  ou  de  la  bouteille  de 
bière,  le  journal  qui  s'inquiète  de  la  chose 
publique.  La  famille  parle  français  quel- 
quefois, flamand  souvent  ;  on  ne  dédaigne 
point  de  causer  avec  la  servante  que  la  maîtresse  de  la  maison 
aide  à  la  cuisine,  aux  choses  domestiques  ;  et  l'on  s'intéresse 
aux  événements  advenus  chez  les  voisins,  même  chez  les 
humbles. 

De  ce  milieu,  riche  en  intelligences  et  en  énergies,  beau- 
coup d'individualités  supérieures  sont  issues.  Dans  tous  les 
domaines  de  l'activité  intellectuelle  belge,  les  hommes  dont 


Croquis 


8 


l'origine  est  là  sont  innombrables.  Mais  rares  sont  ceux  qui  ne 
changèrent  pas  de  vie,  d'atmosphère,  continuèrent  à  subir 
celle-ci,  gardèrent  intacts  la  santé  morale  et  l'équilibre  des 
instincts  qui  font  ce  monde  admirable.  Par  la  force  des 
choses,  par  l'entraînement  inévitable  des  relations  et  des 
goûts,  presque  tous,  dès  leurs  débuts,  se  transplantent,  sont 
absorbés  par  un  monde  nouveau  où  dominent  les  qualités 
exceptionnelles,  une  conception  de  la  vie  basée  exclusivement 
sur  la  littérature  et  lart,  dans  un  monde  pour  lequel,  insen- 
siblement, tout  ce  qui  n'est  pas  lui-même  devient  secondaire, 
accessoire,  et  qui,  trop  souvent,  parle  un  langage  par  lui  seul 
compris.  Dans  ce  monde  éclosent  et  se  développent  la  sub- 
tilité, la  séduction  des  sensations  rares,  formulées  avant 
même  d'être  complètement  éprouvées  ;  on  y  cultive  un  art 
qui  devient  aristocratique  sans  bien  s'en  apercevoir,  aristo- 
cratique dans  le  sens  du  dédain  de  l'effort  et  du  détachement 
de  la  foule,  un  art  qui  prétend  n'être  uni  par  nul  lien  aux 
autres  activités  des  hommes  et  revendique  même  parfois  le 
droit  d'entraver  ces  activités. 

Laermans,  lui,  n'a  rien  abandonné  de  son  milieu  originel. 
Sa  forte  intellectualité  chaque  jour  puise  la  santé  dans  la 
fraîcheur  morale,  dans  les  réalités  paisibles,  dans  la  transpa- 
rente vie  patriarcale,  aux  modestes  et  vigoureuses  joies,  aux 
clairs  devoirs. 


9 


II. 


La  vie  de  Laermaas  s'écoule  tout  entière  dans  le  labeur. 

Chaque  matin,  l'artiste  quitte,  vers  huit  heures,  la  maison 
de  la  chaussée  de  Gand.  C'est  l'heure  où  son  père,  dont  les 
quatre-vingts  ans  n'ont  point  eu  raison  de  l'activité  régulière, 
s'en  va  vers  la  ville.  C'est  l'heure  où  la  vieille  route  est  animée 
du  lourd  et  bruyant  cortège  des  campagnards  revenant  du 
marché,  regagnant  Berchem,  Assche  ou  Grand- Bigard  ; 
des  odeurs  maraîchères  montent  des  chariots  qui  passent  ; 
à  côté  des  véhicules  cheminent  des  paysans  ;  sur  les  char- 
rettes, installées  au  milieu  des  bottes  de  verdure,  des  femmes 
sont  assises. 

S'il  pleut,  ce  qui  passe  c'est  la  corvée,  la  vie  pesante  exi- 
geant de  chaque  heure  le  rude  travail  ;  si  le  soleil  enveloppe 
la  chaussée,  c'est  l'évocation  de  la  vie  rurale  dans  ses  senteurs 
fortes  et  sa  fécondité.  Mais  qu'ainsi  s'exprime  de  la  tristesse 
ou  de  la  joie,  il  y  a  toujours  fête  de  couleur  :  le  sarrau  bleu 
ou  le  vêtement  de  velours  gris  de  l'homme,  le  fichu  rouge, 
noir  ou  blanc  encadrant  la  chair  des  femmes,  offrent  au 
peintre  la  première  extase. 

Par  la  chaussée  de  Merchtem  ou  par  un  dédale  d'autres 
rues  pauvres,  il  marche,  en  s'arrêtant  souvent.  La  halte  se 

lO 


L'Enfant  maladk  (Vernis  mou) 


fait  tantôt  devant  un  couloir  dont  le  trou  d'ombre  a  pour  fond 
une  cour  où,  sous  un  pan  de  soleil,  sèchent  des  hardes  aux 
tons  éclatants  amortis  par  l'usure  ;  tantôt  au  détour  d'une 
ruelle  où  la  lumière  lèche  un  coin  de  muraille  lépreuse  dont 
le  crépi  blanc  est  tavelé  de  vert  ;  devant  une  porte  ouverte 
sur  un  escalier  que  les  pas  ont  usé  et  qui  semble  avoir 
conduit  tant  d'hommes  vers  le  mystère  de  son  obscurité  ;  tan- 
tôt c'est  brusquement  devant  un  groupe  qui  passe  et  dont  les 
hommes  quelquefois  s'arrêtent  eux  aussi,  intrigués,  un  peu 
irrités  sous  le  regard  étrange  qui  les  contemple.  Ce  regard 
ardent  et  avide  devant  les  choses  devient,  devant  les  hommes, 
inquiétant,  énigmatique.  Que  pense  donc  ce  passant  à  la 
curiosité  si  tenace  ?  Qu'est-il  ?  Il  a  l'aspect  d'un  bourgeois, 
d'un  de  ces  bourgeois  de  la  démocratie  dont  le  vêtement  sans 
coquetterie,  portant  le  ruban  rouge,  dit  à  la  fois  la  simplicité 
et  l'importance.  La  carrure  trapue,  les  bras  solides,  le  rythme 
pesant  du  corps  sont  d'un  travailleur  fruste.  Mais  sous  la 
chevelure  abondante  aux  mèches  longues  en  broussailles  où 
la  lumière  joue  comme  sur  de  la  sculpture,  et  qui  se  prolonge 
en  une  barbe  un  peu  sauvage,  les  yeux  bruns,  chauds,  brillent 
d'un  éclat  bizarre,  éclairant  à  la  fois  du  sourire  et  de  la  tris- 
tesse, de  la  raillerie  et  de  la  pitié.  Pourquoi?  Les  hommes 
qu'ils  voient  ne  sont  ni  si  lamentables,  ni  si  ridicules. 

Seulement  ces  hommes,  Laermans  ne  les  voit  pas  dans 
les  mêmes  conditions  que  nous.  Il  n'entend  pas  ;  il  n'entend 
rien.  Les  bruits  de  la  rue,  les  voix  de  ces  hommes,  qui  parlent, 
qui  chantent  quelquefois,  qui  rythment  les  mouvements,  qui 
les  expliquent,  tout  le  bourdonnement  de  la  cité,  qui  pousse 
les  foules,  les  emporte,  rend  naturelles  leur  hâte  ou  leur  non- 


II 


chalance,  tout  cela  n'existe  pas.  Il  ne  voit  que  les  formes 
et  les  gestes.  Il  est,  devant  eux,  comme  le  passant  isolé  qui 
de  loin  voit  tournoyer  les  couples  dans  un  bal,  sans  que  la 
musique  arrive  jusqu'à  lui.  Et  les  mouvements  lui  paraissent 
disgracieux,  outrés  et  sans  cause,  les  formes  sont  appuyées 
jusqu'à  l'absurde,  s'accentuent  d'autant  plus  que  la  nature  a 


QpoQuis  POUR  «  LA  Lutte  » 


reporté  sur  un  sens  toute  la  sensibilité  dont  un  autre  sens  fut 
à  jamais  privé.  Ainsi  la  pitié  et  la  raillerie  de  son  regard 
s'expliquent.  Elles  vont  s'éteindre  d'ailleurs  devant  cette 
femme  immobile  au  seuil  de  cette  demeure  misérable  ;  nul 
geste  inexpliqué  ne  déforme  son  aspect,  et  les  yeux  du  peintre 


12 


goûtent  la  joie  de  deviner  un  corps  ample  et  souple  sous 
une  guenille  très  vieille  et  très  sale,  mais  dont  le  bleu  déteint 
a  pris  une  splendide  amertume. 

Et  voici  que  le  regard  de  nouveau  s'enflamme  d'une 
extase.  L'artiste  a  fourni  la  première  étape  de  la  route  chaque 
jour  parcourue  :  il  a  atteint  le  large  boulevard  qui,  de  la  ville, 
grimpe,  en  traversant  le  canal  et  le  quartier  des  usines,  vers  le 
plateau  de  Koekelberg,  qui  conduit  le  pavé  de  la  cité  jusqu'à 
la  campagne  sans  cesse  reculée,  sans  cesse  envahie,  sans 
cesse  appauvrie.  Sous  les  arbres  de  l'allée  la  lumière  a  des 
caprices  que  le  peintre  guette  ;  elle  noie  doucement,  furtive- 
ment les  choses  ;  et  là-bas,  sur  le  plateau,  elle  s'épanouit 
glorieusement  sur  la  majesté  de  la  nature.  Elle  harmonise 
ici  les  aspects  les  plus  disparates  :  les  rues  bourgeoises, 
tristes,  uniformes,  grises,  incolores,  dernière  conquête  de  la 
ville,  et  les  restes  de  l'ancien  décor  rural,  les  maisons  aux 
murs  verdâtres,  blêmes,  sous  les  grands  toits  de  tuiles  rouges 
dont  le  temps  a  amorti  l'éclat. 

Laermans  est  ici  chez  lui,  dans  cette  banlieue,  à  l'aspect 
complexe  où  toutes  les  tristesses  sont  voisines  de  toutes  les 
splendeurs,  où  les  hommes  ne  sont  plus  des  paysans  et  ne  sont 
pas  des  citadins,  où  la  campagne  et  la  cité  sont  en  lutte,  où  la 
vie  rurale  et  la  vie  urbaine  mutuellement  se  déséquilibrent, 
où  les  pierres  envahissent  la  terre  et  la  stérilisent,  où  les  êtres 
souffrent  de  la  défaite  de  la  nature  qui  recule  et  dont  la 
beauté  sereine  se  dresse,  à  l'horizon,  mélancolique,  subsiste 
encore,  par  endroit,  tenace,  crispée,  en  un  bouquet  d'arbres, 
en  un  champ,  en  un  reste  branlant  de  chaumière,  en  un  mor- 
ceau de  jardin  dont  la  clarté  vibre  au  fond  d'un  couloir  de 


13 


maison  pauvre,  de  vieille   ferme  transformée  en  atelier. 

Voici  la  chaussée  de  Jette,  l'antique  chaussée  ;  des  portes 
cintrées,  de-ci  de-là,  entre  les  maisons  neuves,  rappellent  le 
coin  de  village  bouleversé  par  les  empiétements  de  la  ville  ; 
au  seuil  des  cabarets,  des  hommes,  des  femmes,  des  enfants 
baguenaudent,  pauvres  êtres  en  les  formes  et  les  gestes  des- 
quels se  manifeste  le  même  déséquilibre,  le  même  caractère 
incertain,  le  même  trouble  d'évolution,  d'adaptation  imparfaite 
à  une  vie  nouvelle.  Ce  ne  sont  ni  des  ouvriers  des  villes,  ni 
des  paysans  ;  ils  n'ont  ni  la  puissance  calme  et  lourde  de 
ceux-ci,  ni  la  démarche  décidée  et  le  regard  éveillé  de  ceux-là  ; 
le  geste  hésite  entre  la  charrue  et  l'outil,  le  vêtement  entre  le 
sarrau  et  le  veston  ;  la  brusque  transplantation  du  grand  air 
libre  à  la  rue  de  faubourg,  le  brutal  arrachement  à  la  terre, 
la  sujétion  au  travail  de  l'atelier  et  de  l'usine,  ont  rompu  le 
rythme  des  formes  et  des  mouvements;  et  ce  qui  reste,  en  eux 
et  dans  le  décor  qu'ils  peuplent,  de  l'existence  d'hier  :  —  ces 
coins  de  verdure,  et  les  couleurs  vives  de  vêtements  faits  pour 
la  grande  lumière,  —  prend  une  éloquence  grave  et  nostal- 
gique, de  regret,  de  fidélité  à  un  passé  encore  proche,  à  un 
bonheur  qui  fuit,  là-bas,  dans  les  champs  et  les  bois  de 
Ganshoren,  de  Jette  et  de  Berchem. 

Derrière  une  grille  dressée  sur  un  mur  bas,  dans  un 
fouillis  de  verdure,  il  semble  qu'un  peu  de  ce  passé  et  de 
ce  bonheur  subsiste.  C'est  là  que  l'artiste  s'arrête.  Une  large 
porte  de  bois,  à  claire-voie,  tourne  sur  des  gonds  rouillés.  De 
vieux  arbres  tordus,  des  massifs  de  jasmin,  forment  une  allée 
montante,  pleine  d'ombre  humide  sur  le  pavé  moussu.  Nous 
sommes  chez  le  peintre.  Cette  bicoque  étrange,  abandonnée, 


14 


presque  en  ruines,  à  l'étage  de  laquelle  conduit  un  escalier  de 
bois  abrité  par  un  toit  vitré  poussiéreux,  c'est  l'ancien  atelier, 
aujourd'hui  désert,  adossé  à  de  petites  maisons  ouvrières,  très 
anciennes  ;  et  ce  grand  bâtiment  de  briques  rouges,  qui  a 
l'aspect  d'un  hangar,  derrière  les  petites  cours  des  maisons 
ouvrières  où  sèchent  les  lessives  au  milieu  des  géraniums  et 
des  capucines,  c'est  l'atelier  d'aujourd'hui.  On  n'en  voit  que 
le  haut  pignon  au  milieu  d'un  fouillis  de  verdure. 

Laermans  a  sauvé  de  l'envahissement  urbain  ce  coin 
de  campagne,  propriété  de  ses  parents.  Il  a  voulu  que  le 
grand  jardin  demeurât  très  rustique,  ou  plutôt  il  l'a  laissé 
tel  parce  que  jamais  il  n'eût  songé  à  en  faire  un  jardin  élégant 
et  correct,  parce  que  la  beauté,  la  santé,  sont  à  ses  yeux  dans 
la  nature  telle  qu'elle  s'offre  à  la  volupté  des  hommes.  Il  n'y 
a  point  là  de  pelouses  régulières  et  de  parterres  savamment 
dessinés.  Comme  le  grand  atelier  est  un  simple  abri  de 
briques  sans  architecture,  le  jardin  est  fait  de  bonne  végé- 
tation généreuse  et  presque  libre,  de  végétation  dont  la 
beauté  n'est  pas  seulement  de  l'ornement  impassible,  mais 
aussi  de  la  saveur  nourrissante.  Il  n'y  a  pas  que  des  fleurs,  il 
y  a  aussi  des  fruits  dans  l'enclos  :  il  y  a  tout  ce  que  la  terre 
donne  quand  on  ne  la  contrarie  pas  de  parti-pris,  quand  on 
ne  dédaigne  pas  ses  présents.  Il  y  a  du  jasmin,  il  y  a  de  la 
glycine,  il  y  a  des  roses,  il  y  a  des  clématites  et  des  pavots,  et 
il  y  a  des  petits  pois  ;  il  y  a  des  peupliers  altiers  et  des  chênes 
majestueux,  et  il  y  a  des  noyers  et  des  pommiers;  et  parfois, 
dans  le  soleil,  du  tumulte  des  leuilles  et  des  fleurs,  surgit  le 
buste  d'une  fille,  en  chemisette  blanche  et  les  bras  nus  :  la 
servante  qui  fait  la  cueillette  ou  coupe  les  arbres  fruitiers, 


i5 


parce  qu'il  faut  aider  la  terre.  Mais  je  crois  qu'on  ne  donne 
guère  d'autres  soins  au  jardin.  Tout  y  pousse  librement;  les 
branches  s'échappent  des  buissons,  envahissent  les  chemins; 
on  n'en  protège  que  les  parterres  réservés  aux  légumes  et  que 
cachent  des  ceintures  de  verdure  épaisse.  Pour  se  promener 
dans  les  allées,  il  faut  se  frayer  un  passage,  lutter  avec  les 
arbustes.  On  sent  que  le  maître  de  l'enclos  a  le  respect  fervent 

de  tout  ce  qui  s'épanouit  là,  qu'il  souf- 
frirait de  diminuer  de  si  peu  que  ce  fût 
la  fécondité  de  ce  coin  de  campagne  pré- 
servé de  la  conquête. 

Tout  ce  qui  est  élégance  apprêtée  et 
correcte  est  banni.  Au  bout  de  l'allée 
de  l'entrée  il  y  a  un  hangar  délabré  sous 
lequel  sont  entassés  des  fagots  de  bois 
mort  et  de  vieilles  caisses;  et  les  murs 
n'ont  plus  été  crépis  depuis  des  années. 
Ils  sont  admirables,  ces  murs  dont  la 
brique  a  pris  des  tons  prodigieusement 
variés  et  splendidement  salis;  sous  la  ver- 
dure qui  les  brode,  le  vermillon  ardent 
Croquis  de  la  brique  saignante,  le  pourpre  éteint 

et  lépreux  des  blessures  anciennes,  les 
laques  profondes  où  les  étés  ont  laissé  des  flammes,  les  rouges 
moisis,  rongés,  noircis  où  transparaît  sous  les  gris  l'or  in- 
cendiaire des  soleils  couchants,  offrent  le  plus  merveilleux 
exemple  de  la  pauvreté  somptueuse  :  de  la  brique  et  des 
feuilles  sous  les  caresses  de  la  lumière  et  du  temps  font  plus 


i6 


d'émouvante  splendeur  que  les  décors  les  plus  luxueux,  les 
plus  raffinés,  les  plus  laborieusement  composés. 

Parfois,  Laermans,  lorsque,  au  cours  de  la  route, 
quelque  silhouette  l'a  particulièrement  frappé,  entre  directe- 
ment dans  l'atelier,  et  rapidement,  en  quelques  traits,  esquisse 
une  figure,  un  document,  fixe  une  pose,  un  mouvement, 
complète  le  souvenir  par  des  indications  de  couleur  :  une 
note  :  «  rouge,  noir,  bleu  sur  chaque  partie  du  vêtement. 
Plus  souvent,  il  fait  le  tour  du  jardin,  compte  les  roses 
ouvertes,  suppute  la  récolte  des  fruits,  ou  secoue  l'arbre  d'où 
tombent  les  prunes  ou  les  pommes  mûres  dont  il  fera  un  tas 
dans  l'atelier;  dans  cette  allée  qui  longe  le  mur  mitoyen,  il 
demeure,  le  regard  ébloui  devant  la  symphonie  des  rouges 
et  des  verts  ;  il  suit  passionnément  les  métamorphoses  que  la 
lumière  mouvante  imprime  à  cette  rude  beauté,  et,  avant  de 
franchir  la  porte  de  l'atelier,  embrasse  d'un  coup  d'œil  les 
fleurs,  les  fruits,  les  arbres  et  le  ciel,  le  vivant  ciel  du  Brabant 
dont  les  nuages  font  perpétuellement  frissonner  la  terre  et  les 
choses  dans  les  alternatives  de  lumière  et  d'ombre.  Il  a  pu, 
la  veille,  lire  les  dissertations,  les  spéculations  humaines;  il  a 
maintenant  la  pensée  et  la  vision  claires,  retrempées  au 
spectacle  des  beautés  certaines,  évidentes;  il  pourra,  tout  à 
l'heure,  entre  deux  poussées  de  travail,  lire  encore  quelques 
pages,  —  il  y  a  toujours,  dans  l'atelier,  des  livres,  —  il  gar- 
dera dans  les  yeux  la  fraîcheur  grave  du  jardin  sauvage  qu'il 
peut  contempler  toujours  par  la  porte  ouverte  ou  par  une 
échancrure  du  rideau  de  la  grande  verrière. 

De  ce  jardin,  seule  la  verrière  sépare  l'atelier  auquel 
donne  accès  une  étroite  porte  de  bois  sommairement  peinte 


17 


en  gris.  Pas  d'antichambre;  l'antichambre  c'est  le  jardin. 
Il  n'y  a  pas  de  transition,  il  n'y  a  nulle  préparation  à  l'impres- 
sion. Au  surplus,  cet  atelier  n'est  point  fait  pour  les  visites 
qui  sont  très  rares,  possibles  seulement  aux  intimes;  l'intrus 
pourrait  sonner,  appeler,  personne  ne  répondrait,  puisque 
l'artiste  n'entend  pas  et  qu'il  n'y  a  que  rarement  une  servante 
ou  un  jardinier.  Pour  toute  la  journée,  le  peintre  est  seul, 
seul  avec  ses  arbres  et  avec  ses  œuvres.  Il  n'est  pas  misan- 
thrope, et  lorsque,  exceptionnellement,  vient  un  ami,  il  est 
reçu  avec  une  cordialité  qui  accentue  jusqu'à  la  meurtrissure 
la  franche  poignée  de  main,  avec  une  loquacité  rieuse  qui 
ne  se  rebute  point  de  la  difficulté  du  langage,  n'a  que  de 
temps  à  autre  un  mouvement  d'irritation  devant  l'obstacle 
de  la  surdité. 

Mais  généralement  la  journée  s'écoule  dans  la  complète 
solitude. 


i8 


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Ci 

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III. 


Sous  la  voûte  du  toit,  de  hauts  murs  tapissés  d'un  mince 
papier  bistre  clair  qui  disparaît  presque  complètement  sous 
les  toiles  et  les  études  sans  cadres.  Cinq  ou  six  chevalets 
se  bousculent.  Et  puis  un  tumulte  d'objets  disparates,  dans 
le  désordre  le  plus  complet. 

L'atelier  est  comme  le  jardin  :  on  dirait  que  les  choses 
ont  poussé  librement,  au  gré  de  leur  caprice.  Nulle  ordon- 
nance, nul  arrangement,  nul  souci  de  ménager  un  décor  aux 
expressions  voulues.  Dans  la  vaste  salle  où  l'on  travaille,  on  a 
apporté  ce  que  l'on  aime  et  ce  dont  on  a  besoin  pour  le 
labeur.  Et  cela  s'est  placé  au  hasard  des  arrivées. 

Sur  une  table  étroite  un  amoncellement  de  livres  — 
c'est  tantôt  Rabelais,  tantôt  Heredia,  tantôt  Paul  Adam  — 
de  journaux  frais  ou  vieux,  blancs  ou  jaunis  et  dont  le  tas 
dégringole  sur  le  plancher,  de  bouts  de  papier,  de  lettres,  de 
pages  d'album  couvertes  de  croquis,  de  pipes,  de  caisses  de 
cigares,  de  boîtes  d'allumettes  ;  des  journaux  encore  sur  le 
fauteuil  Voltaire  usé,  et  des  lambeaux  d'étoffe  sur  les  chaises. 
Sur  ce  vieux  meuble  de  chêne  très  patiné,  une  cuirasse  garnie 
d'épaulettes  rouges,  un  parasol  chinois,  des  épées,  des  feuilles 
mortes,  des  plumes  de  paon.  Sur  la  haute  cheminée  dont  les 


19 


montants  en  ciment  sont  décorés  de  dessins  au  charbon 
faisant  un  corps  à  des  masques  japonais,  un  plat  de  dinan- 
derie,  une  assiette  de  Delft,  des  bouilloires  de  cuivre,  une 
tête  de    mort,  un  bouquet  d'immortelles,  des  poteries  de 


Croquis 


Bruges,  une  lampe  de  mineur,  une  vieille  terre  cuite  ;  et, 
accrochés  sous  le  manteau,  un  sabre,  une  faux,  une  pipe  alle- 
mande, un  large  râteau.  Des  poteries  bleues  encore  sur  un 
bahut  de  chêne,  de  l'autre  côté  de  la  cheminée.  Et  puis, 
de-ci  de-là,  des  bouteilles  vides  de  lambic  ou  de  vernis,  des 


20 


vases  d'où  émergent  des  pinceaux,  des  outils  de  menuiserie  : 
une  scie,  des  tenailles,  un  marteau  ;  ici  un  sécateur,  là  des 
cadres  vides,  plus  loin  des  châssis  et  des  toiles  blanches, 
d'autres  toiles  couvertes  d'ébauches  ;  à  côté  un  tas  de  fruits 
cueillis  la  veille  au  jardin.  La  bousculade  la  plus  hétérogène 
d'instruments  d'art  et  d'instruments  de  vie  voisinant,  se  mêlant, 
disant  dans  leur  amoncellement  le  rude  et  sain  équilibre  des 
préoccupations,  et  toute  l'existence  de  celui  qui,  au  milieu  de 
tout  cela,  travaille. 

II  travaille,  longuement,  patiemment,  chaque  jour, 
passionné  pour  son  art  ;  il  ne  dédaigne  rien  de  ce  qui  est  le 
reste  de  la  vie,  mais  il  n'use  point  son  effort  à  des  raffinements, 
à  des  compositions  d'effets  pour  le  décor  qui  l'entoure.  Pour 
exprimer  sa  personnalité,  il  compte  sur  ses  œuvres  ;  cela  lui 
suffit.  Et  pour  goûter  des  voluptés  profondes,  il  a  le  jardin, 
les  grands  arbres,  les  fleurs,  les  fruits,  le  frais  parfum  qui 
monte  des  buissons;  et  il  a,  il  a  surtout  la  merveilleuse  faculté 
de  distinguer  en  toutes  choses  la  part  de  beauté  que  chacune, 
même  la  plus  humble,  contient.  Dans  le  fouillis  disparate 
encombrant  l'atelier,  il  découvrira  de  discrètes  splendeurs  de 
couleur.  L'harmonie  du  bleu  de  ce  Delft  avec  le  vert  et  le 
rouge  de  cette  pomme,  avec  l'or  bruni  de  ce  vieux  meuble  de 
chêne,  la  chanson  de  couleurs  effacées  de  ce  lambeau  de  shall 
des  Indes,  et  cette  concentration  de  lumière  sur  la  matière 
granulée  de  ce  grès,  feront  surgir  dans  son  imagination  toutes 
les  opulences  et  les  frissons  d'avidité  qui  traversent  même  les 
drames.  Les  vigueurs  qui  s'éveilleront  en  lui  se  dépenseront 
dans  quelque  rude  travail  pour  lequel  il  maniera  avec  adresse 
et  avec  force  ces  tenailles  et  cette  scie.  En  croquant  une 


21 


pomme  verte  il  entreverra  les  fécondités  somptueuses  et  fan- 
tastiques du  jardin  des  Hespérides.  Et  les  bras  nus  de  la 
servante,  au  milieu  de  la  verdure  entourant  les  plates-bandes 
aux  légumes,  évoqueront  d'autres  forces  et  d'autres  beautés 
encore. 

C'est  qu'il  est  peintre,  peintre  intensément.  Et  tout  lui 
parle  par  la  matière  et  par  la  couleur  ;  les  imperceptibles 
nuances  de  celles-ci  forment  pour  lui  le  plus  complet,  le  plus 
subtil  et  le  plus  puissant  langage.  Chaque  chose,  par  elles, 
prend  une  expression  précise  et  troublante.  Au  milieu  de 
l'atelier,  sur  un  petit  meuble  où  sont  serrés  les  tubes,  repose 
la  palette.  Ici  règne  l'ordre,  ici  l'on  devine  les  soins  constants; 
les  tubes  sont  méthodiquement  rangés  dans  les  tiroirs,  et  la 
palette,  la  large  palette,  dans  la  courbe  qu'y  tracent  les  grasses 
coulées  de  pâte,  est  toujours  nettoyée,  lisse.  Elle  apparaît 
comme  le  centre  vers  lequel  tout,  dans  la  vaste  pièce,  con- 
verge. Dans  la  savante  gradation  des  tons  qui  s'y  touchent,  on 
dirait  que  revit,  soudain  ordonné,  tout  ce  que  l'on  vient  de 
voir  dans  le  désordre.  Voici  dans  le  blanc  d'argent  les  nuages 
éclatants  du  ciel  sur  le  jardin  ;  ce  jaune  qui  d'abord  lumi- 
neux, s'assombrit  en  se  mêlant  aux  bruns  voisins,  c'est  l'or 
des  fruits  sur  le  bahut  de  chêne,  près  des  feuilles  mortes;  ces 
laques  et  ce  vermillon  évoquent  les  rouges  du  vieux  mur;  les 
bleus  innombrables,  les  gris,  les  verts  d'émeraude,  de  cinabre, 
chantent  toute  la  fermentation  de  la  terre.  Chaque  couleur  a 
sa  place,  mais  elles  se  touchent  et  se  confondent  en  de 
chaudes  pâmoisons  ;  et  sur  l'espace  vide  et  brillant  du  frotte- 
ment répété  de  l'essence,  sur  l'espace  où  chaque  jour  l'artiste 
les  mêle   savamment,  toutes  ont  laissé  des  traces  ;  toutes 


22 


conduisent  doucement,  insidieusement  un  peu  de  leur  éclat 
pour  en  magnifier  la  splendeur  voisine.  Les  bleus,  les  laques, 
les  verts,  les  bruns  et  les  jaunes  subsistent,  mais  enrichis  par 
la  magie  des  intimes  et  harmonieux  mélanges,  comme  en  des 
souvenirs  seulement  ;  l'un  l'autre  ils  se  sont  pénétrés  dans  le 
bois  même  où  ils  s'incrustent,  sous  la  caresse  satinée  du 
pinceau.  Et  vraiment,  c'est  toute  la  couleur  du  jardin,  des 
choses  de  l'atelier,  c'est  toute  la  beauté  multiple,  c'est  toute 
la  splendeur  diaprée  du  monde  qui  converge  vers  la  palette, 
s'y  concentre,  s'y  résume  en  ces  tons  indéfinissables,  souillés  et 
somptueux  comme  ceux  du  vieux  lambeau  de  shall  des  Indes. 


23 


IV. 


Croquis 


L'atelier  simple,  l'ate- 
lier rustique  contient, 
dans  les  toiles  et  les  étu- 
des qui  couvrent  les 
murs,  toute  l'histoire  de 
l'artiste.  Dans  le  vieil 
atelier  aujourd'hui  aban- 
donné, beaucoup  moins 
d'études  étaient  offertes 
à  la  curiosité  du  visiteur. 
Il  avait  été  organisé  à 
l'heure  où  la  personna- 
lité se  formait,  aimait 
encore  les  outrances  qui 
affirment  violemment. 
Et  sans   doute  l'artiste 


avait  alors  peu  de  considération  pour  tel  simple  morceau 
exécuté  au  temps  où,  patiemment,  il  apprenait  à  peindre  sans 
rien  exprimer  de  personnel. 

Il  a,  comme  tous  ceux  qu'animent  de  grandes  ambitions, 
connu  l'heure  de  jeunesse  où  l'on  nie  tout  ce  qui  se  rattache 


24 


au  labeur  du  passé,  où  l'on  s'insurge  contre  tout  ce  qui  n'est 
pas  soi-même,  contre  tout  ce  qui  n'est  pas  aujourd'hui.  De 
cette  heure-là,  il  demeure  des  traces  curieuses  sur  les  vitres 
du  toit  de  l'escalier  menant  au  vieil  atelier.  Sur  les  étroits 
carreaux,  ce  sont  tantôt  des  croquis  caricaturaux  dessinés  au 
pinceau,  tantôt  des  citations  de  Théophile  Gautier,  de  Bau- 
delaire, de  Renan,  concises  et  paradoxales  telles  qu'elles  sont 
présentées,  isolées  de  leur  contexte,  tantôt  des  maximes,  des 
aphorismes  exprimant  avec  véhémence  des  opinions  tran- 
chantes, audacieuses,  en  bravade.  Le  rapin  batailleur  s'ex- 
clame :  «  Fourt  !  Fourt  !  Fourt  !  (cri  de  guerre  des  anciens 
Germains  et  des  modernes  Brabançons)».  Mais  de  ce  tumulte, 
deux  pensées  calmes  et  claires  surgissent  : 

«  Un  art  sans  caractère  national  est  un  art  mort.  » 

Et  : 

«  Trouver  de  l'art,  en  trouver  si  personne  ne  s'avise  d'en 
cueillir  et  d'en  exprimer.  » 

Toute  la  genèse  des  œuvres  de  Laermans  est  dans  ces 
cris  exaspérés,  dans  ces  deux  pensées,  et  dans  l'influence  du 
calme  et  sage  milieu  de  son  origine. 

Le  fils  des  bourgeois  paisibles  de  Molenbeek-Saint-Jean, 
maintenu  par  son  infirmité  dans  le  milieu  originel,  devant 
l'exemple  quotidien  du  travail  patient  et  consciencieusement 
obstiné,  a  d'abord,  comme  il  est  de  règle  dans  ce  monde  ad- 
mirable, appris  son  métier,  scrupuleusement.  Il  avait,  très 
jeune,  décidé  d'être  peintre  ;  ses  parents  avaient  consenti.  Et 
il  a  fait,  avec  méthode,  avec  ténacité,  son  apprentissage.  Il 
n'y  avait  point  encore  en  lui  de  personnalité  consciente.  Il 
avait  quinze  ans.  Il  apprenait  à  peindre  simplement.  Une  seule 


25 


passion  vivait  en  son  adolescence  :  celle  de  la  couleur  dont  la 
magie  lui  était  naturellement  révélée.  Une  mélancolie  déjà 
tentait  de  se  formuler  quelquefois.  Et  en  1882,  à  dix-huit  ans, 
—  il  est  né  en  1864,  le  22  octobre,  —  il  essayait  ce  petit  tableau 
qu'il  garde  dans  son  atelier  :  dans  une  mansarde,  au  chevet 
d'un  mort  qu'une  lumière  blême  laisse  à  peine  deviner,  une 
vague  silhouette  humaine  s'écroule.  Mais  c'étaient  là  balbutie- 
ments timides  et  fugitifs.  Tout  le  temps  était  donné  à  la  sage 
étude  du  métier.  L'artiste  travaillait  seulement  à  fixer  la  beauté 
des  choses.  Voyez  toutes  ces  études  :  la  plupart  d'entre  celles 
du  début  sont  des  paysages  ou  des  natures  mortes.  Quelques 
cosses  de  petits  pois,  quelques  prunes,  des  pommes  de  terre, 
une  tête  de  veau,  voire  un  hareng-saur  ;  et  c'est  chaque  fois 
une  fête  de  couleur  d'une  étonnante  fraîcheur  d'évocation  et 
d'une  chaude  harmonie.  Un  bateau  sur  le  canal,  des  arbres 
dans  la  banlieue,  des  toits  de  chaumières  ;  et  c'est  chaque  fois 
une  délicate  analyse  de  la  lumière  sur  les  choses,  de  la  lumière 
grave,  pensive,  telle  qu'on  la  voit  le  plus  souvent  chez  nous. 
C'est  chaque  fois  aussi  une  puissante  étude  de  la  matière 
contemplée  avec  avidité,  avec  une  sorte  de  gourmandise  et 
cette  ivresse  de  vigueur  qui  sont  au  fond  de  la  race,  qui  s'ex- 
primeront même  dans  l'évocation  très  sombre  d'un  escalier  de 
masure,  pauvre,  nu,  à  peine  éclairé,  et  que  ne  doivent  gravir, 
semble-t-il,  que  des  pas  très  las. 

Déjà,  quand  il  peint  tout  cela,  Laermans  cherche  de  l'art 
partout,  là  où  généralement  on  ne  s'avise  pas  d'en  cueiUir. 
Et,  sans  le  savoir  peut-être,  il  obéit  à  un  caractère  national, 
car  les  peintres  flamands  ont  toujours  trouvé,  naturellement, 
sans  effort,  de  la  beauté  dans  les  plus  humbles  choses.  iMais 


25 


La  Prière  du  soir 


c'est  surtout  son  travail  inlassablement  objectif  qui  donnera 
à  son  art,  pour  toujours,  à  travers  les  évolutions  de  sa  pensée, 
ce  caractère  national.  Quand  le  jeune  artiste  peignait,  avec 
une  fidélité  presque  pieuse,  avec  une  candeur  éblouie,  des 
natures  mortes  :  —  les  prunes,  les  cosses  de  petits  pois,  ou  ce 
morceau  de  viande,  —  quand  il  luttait  obstinément  avec  les 
formes  et  les  couleurs  pour  les  égaler  en  relief  et  en  éclat, 
pour  retrouver  la  sensation  de  leur  consistance  tendre  ou  de 
leur  fraîcheur,  il  travaillait  à  devenir  le  digne  continuateur 
des  vieux  peintres  flamands,  il  donnait  un  effort  identique  au 
leur,  il  cultivait  le  même  rêve  qu'eux,  il  brûlait  de  la  même 
volonté. 

Le  caractère  essentiel  de  la  peinture  flamande  c'est,  en 
effet,  cette  volonté  d'étreinte  complète.  Pour  elle,  l'œuvre 
d'art  ne  vit  que  par  la  matière,  ne  peut  prétendre  à  la  pensée 
que  par  elle  ;  pour  être  capable  d'une  éloquence,  elle  doit 
rappeler  à  notre  mémoire,  à  notre  sensibilité  des  aspects  déjà 
contemplés  du  monde  matériel.  Celui-ci  doit  être  son  objectif 
constant.  En  lui  sont  les  mots  de  son  langage.  Et  ce  langage 
est  assez  riche  pour  lui  permettre,  non  pas  de  formuler  toutes 
les  réflexions,  mais  de  les  susciter  toutes. 

Là  gît  la  différence  essentielle  entre  la  littérature  et  les 
arts  plastiques,  entre  leurs  rôles  respectifs.  Ces  rôles,  on  les 
confond  souvent.  Et  cette  confusion  est  la  cause  des  plus 
graves  erreurs,  a  engendré  des  efforts  douloureux  et  vains, 
tendus  vers  d'irréalisables  aspirations. 

Les  idées  ne  se  formulent  qu'avec  des  mots.  Celui  qui 
veut  leur  donner  une  traduction  précise  par  des  spectacles, 
poursuit   un  but  chimérique.  Mais  ces  spectacles  peuvent 


27 


exalter  la  pensée  humaine,  l'élever,  l'ennoblir,  épurer  notre 
sensibilité,  transporter  notre  esprit  dans  une  atmosphère 
d'enhousiasme  et  d'harmonie  où  il  puise  des  forces  supérieures, 
où  il  trouve  un  rythme  de  beauté,  des  volontés  de  grandeur, 
de  générosité  ou  d'énergie.  Un  paysage,  un  très  simple  paysage 
peut  orienter  nos  pensées  vers  toutes  les  splendeurs  et  tous  les 

mystères  de  la  terre  et  du  ciel  ; 
dans  un  nuage  mouvant,  nous 
contemplerons  l'infini;  dans  des 
fleurs,  nous  trouverons  la  saveur 
de  vivre;  dans  les  caresses  de  la 
lumière  sur  les  choses  familières 
d'un  intérieur,  surgiront  des 
souvenirs  de  joies  ou  de  tristes- 
ses intimes  qui  feront  s'éveiller 
un  monde  de  pensées  troublan- 
tes; et  le  mouvement  et  le  geste 
d'une  figure,  humble  ou  héro- 
ïque, suffiront  à  nous  faire  penser 
à  l'effort,  à  la  volupté,  à  l'amour, 
à  la  douleur,  à  la  mort,  pourvu 
qu'une  apparente,  qu'une  visible 
beauté  nous  ait  tout  d'abord 
frappés.  Sans  formuler  une  proposition  précise  qu'il  n'est  pas 
en  son  pouvoir  de  nous  offrir,  l'œuvre  d'art  plastique  nous 
dirige  vers  les  idées  générales,  synthétiques,  en  nous  troublant 
d'abord  par  la  révélation  de  la  beauté  incluse  en  toutes  choses. 

Mais  elle  ne  peut  remplir  ce  beau  rôle  qu'en  s'adressant 
d'abord  à  nos  regards.  Ce  sont  nos  yeux  qui  doivent  d'abord 


Croquis 


28 


la  comprendre,  ce  sont  nos  yeux  qu'elle  doit  émouvoir,  c'est 
par  eux  qu'elle  doit  atteindre  notre  raison,  nos  nerfs  et  notre 
cœur.  Elle  doit  les  séduire,  et  on  ne  les  séduit  que  par  de  la 
beauté  extérieure,  claire,  immédiatement  visible;  pour  que 
cette  beauté  ensuite  nous  émeuve,  il  faut  qu'entre  elle  et  nous, 
entre  elle  et  notre  vie  et  le  décor  de  celle-ci,  nous  découvrions 
aisément  un  lien,  une  communion.  Il  faut  que  nous  sentions 


Dessin  a  la  plume  pour  «  les  Émigrants  » 


les  êtres  et  les  choses  que  l'œuvre  évoque  faits  de  la  même 
pâte  frémissante  que  nous-mêmes  et  que  les  choses  qui  nous 
entourent,  dont  nous  connaissons  les  frissons,  les  saveurs  et 
les  amertumes.  Il  faut  que  nous  nous  retrouvions  et  que  nous 
reconnaissions  la  terre  et  ses  fruits.  Rien  ne  peut  émouvoir 
l'homme  en  quoi  ne  vit  point  pour  lui  un  peu  de  souvenir  ;  il 
ne  peut  concevoir  rien  qui  lui  soit  étranger;  nos  rêves  mêmes 


29 


n'imaginent  rien  complètement;  ils  font  passer  des  visages 
connus  dans  des  décors  déjà  contemplés.  Et  si,  dans  l'œuvre 
d'art,  les  éléments  de  vérité  sont  évoqués  négligemment  et 
sans  puissance,  l'œuvre  n'aura  pas  de  grandeur  :  nous  ne 
pouvons  concevoir  que  la  beauté  créée  par  l'art  soit  inférieure 
à  ce  que  nous  voyons  autour  de  nous,  dans  la  réalité.  Pour 
dépasser  la  nature  dans  ses  éloquences,  il  faut  d'abord  que 
l'Art  l'égale  dans  ses  créations.  S'il  nous  offre  de  la  nature  une 
image  amoindrie,  indécise,  inconsistante,  sans  relief  et  sans 
force,  la  tristesse  et  la  joie  qu'il  fera  passer  en  ce  monde 
diminué  seront  diminuées  d'autant. 

Dès  ses  débuts,  Laermans  sent  cela  ;  du  moins  c'est 
pour  l'art  ainsi  compris  qu'il  se  cultive.  Il  n'a  peut-être 
point  raisonné,  analysé  ;  mais  il  subit,  à  son  insu,  les  sug- 
gestions de  sa  race  volontaire,  orgueilleuse  d'accomplir, 
d'exercer  sur  ses  destinées  une  consciente  action,  de  ce  carac- 
tère national  dont  il  affirmera  plus  tard  la  nécessité,  mais 
que  l'on  subit  plutôt  qu'on  ne  le  veut. 

Il  obéira  ainsi  de  même  au  caractère  de  son  temps. 
Aucun  temps  peut-être  n'eut  d'aussi  vastes  ambitions  que  le 
nôtre  ;  jamais  l'homme,  armé  par  la  science,  ne  fut  animé 
d'un  aussi  noble  désir  d'investigation  profonde  et  de  labeur 
intégral  ;  jamais  il  ne  regarda  la  nature  avec  un  espoir  aussi 
avide  de  déchiffrer  tous  ses  mystères  et  de  la  maîtriser  chaque 
jour  davantage,  même  s'il  ne  fait  pas  le  rêve  absurde  d'en 
être  maître  tout  à  fait. 

Au  milieu  de  cette  humanité  qui  tenacement,  passion- 
nément, travaille  à  étreindre  la  vérité,  à  ne  rien  laisser 
échapper  à  cette  étreinte,  on  ne  peut  se  contenter  d'entrevoir, 


3o 


Eau  forte 


de  n'admirer  dans  la  nature  que  quelques  tons  fugitifs, 
quelques  reflets  séduisants  sur  des  formes  confuses,  qu'une 
nuance  de  lumière  sur  la  terre  embrumée,  qu'un  ton  d'étoffe 
sur  un  corps  deviné.  A  l'heure  où  nous  voulons  scruter  tous 
les  mystères,  établir  toutes  les  relations,  Tart  doit  nous  montrer 
plus  que  d'inconsistants  mirages  ;  à  l'heure  où  nous  commen- 
çons à  comprendre  quels  liens  puissants  lient  notre  chair  à 
notre  pensée,  notre  corps  à  nos  rêves,  il  ne  peut  suffire  à 
l'artiste  de  voir  en  une  femme  seulement  l'élégance  d'un  pli  de 
robe,  l'ombre  d'un  regard,  ou  le  ton  rare  d'une  étoffe  drapant 
du  vide.  A  l'heure  des  efforts  crispés,  des  tâches  jusqu'au  bout 
poursuivies,  l'art  doit  donner  davantage  que  l'exemple  des 
efforts  ébauchés,  des  tâches  à  la  première  difficulté  défaillantes, 
car  ce  n'est  pas  dans  cet  exemple-là  que  les  hommes  peuvent 
trouver  la  noblesse,  le  réconfort,  l'espoir  en  plus  de  beauté,  en 
plus  de  bonté,  en  plus  de  perfection  dont  l'art  doit  leur  don- 
ner la  vision  comme  en  un  geste  indicateur,  au  lieu  de  leur 
faire  croire  que  la  Terre  n'existe  que  pour  charmer  d'une 
séduction  des  êtres  que  leur  rôle  intimide. 

C'est  en  éprouvant  tout  cela,  peut-être  obscurément,  que 
le  jeune  artiste  est  de  sa  race  ;  le  métier  qu'il  acquiert 
patiemment,  lui  permettra  de  se  mesurer  vigoureusement 
avec  les  forces  que  la  beauté  pare,  que  la  joie  ou  la  mélancolie 
animent  ;  et,  en  étant  de  son  temps,  son  art  sera  cependant 
la  suite,  la  continuation  de  l'art  flamand  du  passé. 


3i 


V. 


Dans  l'éducation  de 
. ,       Laermans,  il  est  un  facteur 

p^^^^fâK^  encore  dont  l'influence  fut 

^     "    profonde.  Le  jeune  artiste 

n'a  guère  connu  que  le  sol 
natal.  Il  a  voyagé  très  peu. 
Le  voyage  était  pour  lui 
difficile.  Jusque  fort  avant 
dans  sa  carrière  la  nature 
fut,  à  ses  yeux,  la  campagne 
brabançonne,  exclusive- 
ment.  Il  n'en  connut  pas 
d'autre.  En  elle  seule  il 
chercha,  il  retrouva  toutes 
les  exaltations  panthéistes  puisées  dans  les  livres.  Je  l'ai  dit 
déjà,  il  a  beaucoup  lu.  Dans  la  maison  de  la  chaussée  de 
Gand,  une  chambre  du  second  étage  est  pleine  de  livres,  rien 
que  de  livres.  Laermans  a  subi  toute  la  ferveur  des  poètes  et 
des  philosophes  du  dix-huitième  et  du  dix-neuvième  siècle 
pour  le  mystère  émerveillant  du  monde.  Il  a  participé,  par 
ces  livres,  à  la  pensée  universelle.  Il  sait  que  la  nature  est 


Croquis 


32 


partout  admirable.  Il  sait  la  variété  infinie  de  sa  splendeur. 
Mais  tout  cela,  pour  lui,  toujours  se  concrétise  en  les  arbres, 
les  moissons,  les  vergers  et  les  ciels  du  Brabant. 

Pour  son  enfance,  pour  son  adolescence,  la  campagne 
brabançonne,  ce  fut  le  monde,  avec  toutes  ses  révélations, 
avec  tous  ses  éblouissements.  Ce  fut  en  elle,  en  elle  seule 
qu'il  apprit  à  s'émouvoir,  à  s'extasier,  à  s'inquiéter,  à  se 
réjouir,  à  rêver,  à  frémir  de  la  sensation  forte  d'être  le  maître 
enchaîné  des  choses.  C'est  sur  la  terre  du  Brabant  qu'il  a 
senti,  à  de  certaines  heures,  le  trouble  étrange  et  profond  qui 
nous  attache  au  sol  par  d'invisibles  racines  conduisant  en 
nous  les  mêmes  sèves  dont  vivent  les  brins  d'herbe  et  les 
chênes,  qu'il  a  frissonné,  dans  l'ombre  soudain  faite  par  la 
marche  d'un  nuage,  du  même  frémissement  de  soumission 
que  les  grands  arbres,  qu'il  a,  devant  les  moissons  semées 
par  les  hommes,  cru  parfois  à  l'orgueil  humain. 

Quand  il  avait  quinze  ans,  le  faubourg  n'avançait  point 
son  agglomération  beaucoup  plus  loin  que  la  maison  pater- 
nelle. Au  delà,  c'étaient  les  Etangs  Noirs  :  des  eaux  tristes 
environnées  de  maisons  pauvres,  mais  dont  les  pignons  blancs 
et  vieillots  s'encadraient  de  verdure.  Ces  Etangs  Noirs  furent 
évidemment  le  premier  décor  que  Laermans,  enfant,  con- 
templa. Ils  n'existent  plus  aujourd'hui.  Ils  ont  disparu  depuis 
vingt-cinq  ans  déjà.  Et  je  crois  que  leur  aspect,  grandi  dans 
l'éloignement  du  souvenir  qu'en  a  dû  garder  l'artiste,  fournit 
toute  la  part  d'expression  tragique  de  ses  œuvres. 

Les  Etangs  Noirs  !  Ils  portaient  merveilleusement  le  nom 
que  leur  avait  donné  la  tradition  populaire.  Ce  nom  suggestif 
e.st-il  pour  quelque  chose  dans  la  nuance  du  souvenir  que 

33 


j'en  ai  gardé  moi-même,  dans  l'impression  que  reçurent  jadis 
mes  yeux  et  mon  imagination  d'enfant  ?  Je  ne  sais;  mais  je  me 
rappelle  les  avoir  vus  une  fois,  à  la  fin  d'un  jour  d'hiver, 
dans  un  crépuscule  gris.  Et  quand  je  veux  imaginer  un  décor 
inquiétant,  c'est  toujours  à  ce  souvenir  que  je  retourne.  Je 
revois  des  eaux  calmes,  des  eaux  sans  vie,  léchant  une 
terre  pauvre,  des  maisons  basses  dont  les  fenêtres  sans 
lumière  sont  comme  des  yeux  peureux,  et  des  êtres  passant 
silencieux  et  las  et  lourds,  longeant  ces  eaux  dans  lesquelles 
les  silhouettes  se  reflètent  en  masses  sombres.  Je  revois  une 
eau  de  drame,  de  suicide,  une  eau  mauvaise,  guetteuse, 
autour  de  laquelle  les  maisons  sont  des  refuges  sombres, 
les  hommes  se  taisent  comme  pour  se  cacher,  pour  ne  point 
éveiller  une  attention  malveillante,  sournoise.  Evidemment, 
ma  mémoire  exagère,  accentue  ce  que  j'ai  vu.  Je  suis  con- 
vaincu que  le  même  phénomène  se  produit  dans  l'esprit  de 
Laermans,  que  l'impression  jadis  éprouvée,  et  qui  n'était 
que  triste  lorsque,  pendant  la  démolition  des  masures  autour 
des  Étangs,  il  peignit  ce  coin-là  en  une  grande  étude 
fidèle,  est  devenue  tragique  plus  tard,  le  décor  ayant  disparu, 
et  l'imagination  cherchant  à  rendre  une  forme  aux  souvenirs 
de  l'enfance.  C'est  ainsi  qu'est  née  VEau  songeuse.  C'est  ainsi 
que  c'est  formée  cette  conception  du  paysage  de  la  banlieue, 
que  se  sont  formulées  ces  expressions  troublantes,  pleines  de 
menaces  vagues,  d'effrois  silencieux,  de  drame  latent,  de 
détresse  muette,  inexpliquée,  parlant  par  l'hostilité  des  choses 
autour  de  l'homme  résigné,  par  cette  hostilité  qui  persiste 
même  quand  l'homme  est  absent,  qui  semble  l'attendre  en  un 
guet-apens. 


34 


Heureusement,  l'enfance  de  l'artiste  n'a  pas  vu  que  cela. 
Cela  c'était  la  transition,  partout  lamentable,  entre  la  ville  et 
la  campagne.  Et  celle-ci  s'épanouissait,  tout  près,  grandiose 
et  fraîche,  autour  des  villages  et  des  hameaux  de  Koekel- 
berg,  de  Ganshoren,  de  Jette,  de  Berchem,  d'Anderlecht,  de 
Dilbeek,  en  une  contrée  superbe  de  féconde  et  bienveillante 
majesté. 

Le  pays  natal  est  toujours  celui  que  l'on  peint  le  mieux. 
Mais  ce  pays-ci  est  particulièrement  propice  à  l'éducation  du 
peintre.  Il  offre  de  saisissantes  synthèses  du  paysage  en  une 
étonnante  variété  d'expressions,  en  une  extraordinaire  richesse 
d'aspects  renouvelés.  On  y  peut  admirer  l'horizon  infini  de  la 
plaine,  la  formidable  unité  de  la  terre;  et  la  monotonie  des 
vastes  étendues  est  capricieusement  rompue  par  des  accidents 
de  terrain  ménagés,  dirait-on,  par  la  nature  coquette  pour 
cacher  de  temps  à  autre  sa  puissance  et  la  découvrir  brusque- 
ment au  détour  d'un  chemin,  en  une  révélation  soudaine  et 
pathétique.  La  plaine  est  mamelonnée,  vallonnée  en  courbes 
douces,  en  déclivités  molles.  Ce  n'est  pas  la  rudesse  mena- 
çante de  la  montagne,  mais  ce  n'est  pas  la  monotone  unifor- 
mité. Le  velours  lisse  des  pâturages  est  coupé  par  l'or  ondulé 
des  moissons;  la  mer  d'épis  est  sillonnée  de  lignes  d'arbres 
altières  et  sinueuses;  sur  la  nappe  verte  et  blonde  que  le 
soleil  illumine  il  y  a  les  taches  d'ombre  des  vergers,  à  côté  de 
l'éclat  des  toits  rouges;  si  la  terre  abandonne  lascivement 
aux  caresses  de  la  lumière  sa  paisible  fécondité,  par  endroits 
elle  leur  dérobe,  comme  pour  un  repos  à  son  perpétuel 
travail,  un  coin  de  vallon  mystérieux  entre  deux  crêtes  que 


35 


des  peupliers,  des  ormes  ou  des  bouleaux  prolongent  en  un 
mouvement  d'élan  vers  le  ciel. 

Ce  paysage  est  singulièrement  émouvant  parce  que,  sans 
être  le  banal  coin  de  terre  en  toutes  ses  parcelles  cultivées, 
partout  il  dit  la  présence  de  l'homme.  Elle  est  rappelée  par  ce 
canal  dont  le  ruban  moiré  se  déroule,  inflexible,  sous  une 
voûte  d'arbres  qui  semblent  marcher  avec  ses  eaux,  par  ces 
hameaux  étalant  leur  toits  rouges  sur  les 
maisons  basses,  très  basses  des  paysans  qui 
veulent  demeurer  près  de  la  terre,  par  ces 
cheminées  d'usines,  dans  le  lointain,  par 
quelque  briqueterie,  ou  simplement  par  ces 
vergers,  ou  même  plus  simplement  encore 
par  ces  étranges  chemins,  si  capricieux,  bor- 
dés de  noyers  ou  de  saules,  d'arbres  courts 
aux  gestes  tordus  qui  semblent  vouloir  se 
dissimuler  pour,  discrètement,  dans  leur  ligne 
furtive,  indiquer  un  but. 

Il  a,  ce  paysage,  à  la  fois  du  grand  style 
et  du  pittoresque;  il  dit  l'impassibilité  de  la 
nature,  et  il  dit  aussi  le  tenace  travail  des 
hommes.  Le  style  est  dans  les  vallonnements 

Croquis 

qui  parfois  mènent  jusqu'au  ciel  un  sentier, 
dans  les  horizons  découverts  du  haut  des  très  accessibles 
sommets  d'où  Ton  peut  croire  embrasser  la  terre  et  perce- 
voir, sensible,  sa  courbe  infinie;  il  est  dans  les  arbres 
innombrables  dont  les  lignes  s'entre-croisent  ou  convergent 
et,  docilement,  subissent  les  appels  ou  les  assauts  du  vent  en 
un  mouvement  unique  sous  lequel  toutes  les  choses  com- 


36 


munient,  soumises  aux  mêmes  lois;  il  est  surtout  dans  la 
course  perpétuelle  des  nuages,  des  grands  nuages  blancs  ou 
noirs,  ou  blêmes,  qui  promènent,  très  près  du  sol,  des 
béatitudes  ou  des  menaces  et  qui  semblent  entraîner  les 
arbres  vers  un  but  éperdument  poursuivi  et  jamais  atteint. 
Cela  c'est  la  Terre  tout  entière,  la  Terre  formidable,  la  Terre 
sur  la  destinée  de  laquelle  l'homme  ne  peut  rien,  la  Terre  qui 
partout  est  la  même,  subit  les  mêmes  frissons,  les  mêmes 
joies  et  les  mêmes  angoisses,  sous  les  mêmes  efforts  humains, 
dans  le  même  passionnant  mystère.  C'est  le  paysage  pathé- 
tique où  se  mêlent  la  majesté  de  la  puissance  indifférente,  les 
vastes  espoirs,  les  rêves  lointains,  les  grands  enthousiasmes, 
les  découragements  et  les  effrois. 

Mais  dans  les  recoins  discrets  de  cette  immensité  est  la 
terre  familière.  Sur  la  route  sans  fin,  au  but  fuyant,  il  y  a  les 
relais  où  l'homme  peut  croire  le  repos  atteint,  où,  depuis  des 
siècles,  il  goûte  l'illusion  de  la  conquête  définitive  dans  le 
labeur  obstiné.  Dans  ces  coins,  il  a  fait  la  nature  moins  écra- 
sante et  plus  serviable  :  c'est  elle  qui  paraît  soumise,  complai- 
sante. Les  vieux  murs  crénelés  de  l'antique  ferme  de 
Kaereveld,  les  masures  du  hameau  de  la  »  Queue  de  vache  " 
ou  du  Scheut,  les  vestiges  d'un  donjon  dans  cette  humble 
métairie,  la  dentelle  de  fer  ouvragé  d'un  balcon,  la  porte  et 
les  fenêtres  à  meneaux  d'un  cabaret,  disent  depuis  combien  de 
temps,  en  ces  endroits,  l'homme  travaille  à  maîtriser  la  terre; 
ils  évoquent  les  luttes  livrées  autour  de  sa  possession,  les 
rudes  batailles  dont  elle  a  tressailli,  dont  sa  fécondité  fut 
troublée  ;  et  la  paix  qui  règne  aujourd'hui  accentue  l'impres- 
sion d'aboutissement,  de  but  atteint,  de  sérénité. 


37 


Autour  du  hameau,  c'est  le  champ  et  le  verger,  la  lour- 
deur blonde  du  froment  et  du  seigle,  les  feuilles  drues  de  la 
betterave  et  du  trèfle,  le  houblon  conduisant  ses  feuilles  et  ses 
fleurs  jaunes  en  une  lente  ascension  vers  le  ciel,  la  modeste 
verdure  charnue  des  vastes  champs  potagers,  les  pommiers 
dont  les  fruits  font  ployer  les  branches  fatiguées  de  leur  régu- 
lière fécondité.  Des  odeurs  de  lait  et  de  pain  se  mêlent  au 
parfum  trais  du  houblon.  Des  meuglements  de  bêtes  passent 
dans  le  vent.  Et  des  maisons  basses  sortent  des  cris  d'enfants. 
L'homme  et  la  terre  sont  unis  étroitement.  Celle-ci  sert  celui- 
là.  La  charrue  dont  la  large  lame  s'allume  d'une  clarté 
coupante  dans  la  pénombre  de  cette  grange,  semble  résumer 
la  vie.  Rien  ne  peut  inquiéter  ces  hommes  dont  on  entend 
les  voix  placides  devisant  au  cabaret  devant  le  lourd  breu- 
vage fait  des  fruits  qu'ils  ont  cultivés,  et  ces  amoureux  qui 
s'en  vont,  enlacés,  par  le  chemin  sinueux,  sous  les  saules, 
dans  la  paix  du  soir  indolent.  Au  détour  de  ce  chemin,  ils 
découvriront  brusquement  la  vaste  plaine,  l'horizon  lointain, 
l'infinie  succession  des  vallons  et  des  collines,  le  tumulte  des 
arbres,  la  formidable  palpitation  de  la  vie  sous  le  ciel  écra- 
sant, sous  les  nuages  en  marche.  Et,  même  s'ils  sont  très  las 
du  labeur  du  jour,  même  si  quelque  souci  les  hante,  ils  regar- 
deront au  loin  avec  confiance,  toute  cette  terre  dont  ils  savent 
la  générosité,  qu'ils  aiment  pour  l'effort  qu'ils  lui  donnent 
et  le  pain  qu'ils  lui  demandent.  A  leurs  yeux,  d'ailleurs,  elle 
n'est  point  si  vaste,  elle  n'est  point  si  mystérieuse.  Tous  les 
sentiers  conduisent  à  des  toits  rouges  ou  à  des  clochers  qu'ils 
connaissent.  Partout  il  y  a  des  champs  et  des  métairies.  Au 
bout  de  tous  les  chemins  mystérieux  il  y  a  des  buts,  des  vil- 


38 


lages  et  des  hameaux  où  régnent  la  paix  laborieuse,  la  vie 
normale,  simple. 

Sur  ce  fond  de  grandeur  impassible,  ces  paysans  silen- 
cieux prendront  soudain,  eux  aussi,  une  grandeur  héroïque. 
La  lourdeur  de  leurs  lignes,  la  disgrâce  de  leurs  mouvements 
incomplets  quand  ils  ne  se  justifient  pas  par  le  travail,  s'ac- 
centueront dans  le  contraste  du  rythme  pur  du  paysage,  des 
gestes  épiques  des  arbres  et  des  nuages  ;  mais  le  regard  se 
chargera  de  contemplation,  un  peu  du  grand  frémissement 
de  tout  passera  dans  la  chair  bistrée  des  femmes,  et  les  tons 
rudes  et  sombres  des  bardes  salies  participeront  à  la  vaste 
harmonie  de  ce  pays  où  toutes  les  couleurs  voisinent  et  se 
pénètrent,  de  ce  pays  où  tous  les  caractères  se  mêlent,  où 
alternent  la  joie  et  la  gravité,  où  la  richesse  féconde  vient 
de  l'effort  douloureux,  où  la  lumière  et  l'ombre  sans  cesse  se 
livrent  combat,  où  il  y  a  du  triomphe  et  de  la  soumission, 
du  bonheur  et  de  l'inquiétude,  de  la  béatitude  et  du  drame, 
du  soleil  et  de  la  pluie,  et  où,  pour  subir  ces  péripéties,  tout 
doit  être  vigoureux,  fait  de  matière  et  de  couleur  résistantes, 
solidement  bâti. 

Les  premières  études  de  Laermans  évoquent  ce  pays 
avec  une  fidélité  méticuleuse.  Ce  paysage  brabançon,  il  l'a 
étudié  avec  ferveur,  il  l'a  peint  avec  une  piété  éblouie.  En  lui 
il  a  eu  toutes  les  révélations.  Et  c'est  en  lui  toujours  qu'il 
verra  la  nature.  Il  subira  des  crises,  il  sacrifiera  à  des  entraî- 
nements passagers,  il  sera  préoccupé,  à  de  certains  moments, 
exclusivement  d'expression  humaine,  mais  toujours  il  revien- 
dra à  la  vision  forte  que  lui  donna  la  campagne  braban- 
çonne, à  la  matière  résistante,  à  la  couleur  vigoureuse  sur 


39 


laquelle  le  soleil  et  la  pluie  n'ont  passé  que  pour  l'embellir, 
à  la  lumière  discrète  et  mouvante  où  la  joie  et  la  gravité  sont 
toujours  mêlées. 

Cette  unité  de  vision,  cette  définitive  conception  de  la 
nature  en  un  aspect  qui  la  résume,  en  fait  un  admirable 
paysagiste.  Il  n'a  point  éparpillé  ses  émotions,  ses  efforts.  Il 
n'a  point  rendu  sa  sensibilité  hésitante  en  s'appliquant  à 
l'adapter  à  des  sujets  trop  multiples,  à  des  expressions  trop 
radicalement  opposées.  Il  a  pénétré  complètement  le  pays  qu'il 
peint,  a  pris  le  temps  de  ne  pas  jouir  seulement  de  fugitives 
impressions  d'ensemble;  il  a  tout  contemplé  et  tout  aimé  en 
ce  pays.  Il  a  appris  à  distinguer  les  beautés  et  la  vie  de  toutes 


Croquis 


choses,  des  plus  insignifiantes, 
des  plus  humbles.  Et  quand  il 
peint  quelques  chaumières  dans 
la  lumière  indécise  d'une  fin  de 
jour,  il  y  a  dans  le  torchis  des 
murs  branlants,  dans  le  chaume, 
dans  les  clartés  furtives  qui  les 
enveloppent,  le  reflet  de  splen- 
deurs invisibles  mais  que  l'on 
sent  proches,  dans  la  matière 
dont  elles  sont  faites  un  peu  de 
la  volupté  qui  coule  partout 
avec  le  sang,  avec  les  sèves,  avec 
le  parfum  dont  ils  imprègnent 
le  vent. 


4Q 


p 


VI. 


Quand  Laermans  entra  à  l'Académie  de  Bruxelles,  dans 
cette  classe  de  Portaels  où  les  personnalités  étaient  si  délica- 
tement respectées,  où  le  maître  ne  donnait  un  conseil  qu'en 
s'excusant,  il  savait  regarder  et  il  savait  peindre.  Il  voyait 
et  il  peignait  en  Flamand  ;  et  son  art  était  définitivement 
empreint  d'un  caractère.  Car  le  caractère  profond,  la  part 
de  beauté  éternelle,  en  les  œuvres  de  Laermans,  ne  sont  pas 
dans  ce  qui,  au  premier  abord,  arrête  et  frappe.  Si  Laermans 
est  admirable,  c'est  moins  par  l'étrangeté  des  figures  qu'il 
peint,  par  leurs  formes  et  leurs  gestes,  que  par  la  matière 
et  la  couleur  dont  ses  figures  sont  faites  et  par  tout  ce  qui  les 
entoure. 

C'est  dans  ces  figures  que  se  manifesteront  les  hésitations, 
les  évolutions  de  la  pensée  de  l'artiste  sous  les  passagères  in- 
fluences de  la  littérature.  Et,  même  ces  influences,  l'obsession 
d'une  expression  pour  laquelle  il  faut  des  mots  plutôt  que  de 
la  beauté  plastique,  modifieront,  à  un  certain  moment  et  dans 
certaines  œuvres,  jusqu'au  métier  laborieusement  conquis. 
Tandis  que  Laermans,  de  1887  ^  1889,  peint  dans  la  classe 
de  Portaels  de  belles  études  très  équilibrées,  très  saines,  — 
on  en  peut  voir  encore  dans  son  atelier,  telle  cette  femme  en 


41 


robe  blanche,  si  discrètement  voluptueuse  —  il  dessine,  il 
dessine  abondamment.  Les  croquis  s'accumulent  dans  les 
albums,  qui  demeurent,  du  reste,  jalousement  fermés,  que  nul 
condisciple  n'est  admis  à  feuilleter.  Et,  phénomène  singulier, 
ces  dessins  sont  d'un  art  tout  à  fait  différent  de  celui  de  la  pein- 
ture du  jeune  homme.  Il  semble  que  dès  qu'il  ne  se  trouve 
plus  devant  la  nécessité  de  dompter  la  matière,  surtout  dès 
qu'il  n'a  plus  à  évoquer  la  joie  des  couleurs,  toute  la  sensibi- 
lité physique  qui  fait  le  peintre,  disparaît,  s'efface  devant  la 
personnalité  intellectuelle  à  cette  époque  en  pleine  formation, 
tiraillée  entre  des  influences  diverses,  souvent  dominée  par 
des  lectures  récentes,  aussi  sans  doute  par  l'amertume,  par  la 
colère  que  doit  inspirer  une  infirmité  à  laquelle  le  temps  n'a 
pas  encore  apporté  la  résignation. 

Devant  la  matière  dont  la  puissance  le  trouble,  devant  la 
couleur  qui  l'enthousiasme,  Laermans  n'a  pas  de  sarcasmes. 
Il  en  a  devant  les  lignes,  devant  les  gestes,  devant  tout  ce  qui 
subit  et  exprime  la  volonté  des  hommes.  Et  ses  dessins  sont 
quelquefois  diaboliquement  moqueurs  ou  imprécatoires  ;  ils 
sont  savants,  mais  leur  science  accentue  ou  déforme  les 
corps,  donne  aux  attitudes  des  ridicules  effrayants,  une  pathé- 
tique, une  torturante  disgrâce. 

C'est  à  ce  moment,  je  suppose,  que  Laermans  a  lu 
Baudelaire,  l'admirable  et  malfaisant  poète.  Il  ne  connaît  pas 
les  hommes,  il  n'a  vu  que  ie  sourire  de  leurs  paroles  et  n'a 
éprouvé  devant  la  mimique  de  discours  qu'il  n'entendait  point 
qu'une  gêne  inquiète  ;  il  n'a  vu  que  les  gestes  impuissants  de 
volontés  qu'il  n'entendait  pas  formuler  ;  il  n'a  pu  faire  la 
part  des  bonnes  volontés  mal  armées,  des  doutes  douloureux 


42 


et  des  tristesses  nobles  parfois  entrevues  par  d'autres  en  une 
heure  d'épanchement  et  de  confiance  fraternelle;  il  n'a  point 
les  joies  puériles  et  fraîches,  la  consolation  des  paroles  de 
femmes,  la  réconfortante  illusion  des  mots  apaisants  et  ber- 
ceurs.  Il  a  subi  violemment  les  Fleurs  du  mal  et  tous  les 
livres  qui  leur  ont  fait  cortège.  Et  souvent,  son  dessin  aura 
les  mêmes  brusques,  les  mêmes  véhéments  caprices  de  sar- 


caricature  plaqués  comme  une  moquerie  sur  les  formes 
amples,  puissantes,  dessinées  d'un  trait  aigu  et  sûr.  Mais  dès 
que  la  figure  est  vêtue,  dès  qu'elle  vit  dans  le  paysage,  le  sar- 
casme et  les  déformations  qu'il  inspire  s'atténuent.  Ils  sont 
encore  dans  ÏEnfant  malade  :  deux  matrones  montrant  à  une 
sorte  d'empirique  un  nouveau-né  ;  mais,  déjà,  l'aquafortiste  a 


casme  que  les  beaux  vers  dés- 
espérés et  misanthropiques. 
Cela  se  produira  surtout 
quand  il  ne  peindra  pas, 
quand  son  attention  se  con- 
centrera sur  une  simple  figure 
isolée,  devant  un  nu  surtout, 
quand  il  se  trouvera  en  pré- 
sence de  l'homme  seul,  rien 
que  de  l'homme,  rien  que  de 
la  silhouette  humaine.  Tel 
vernis  mou  :  une  femme  vue 
de  dos  et  vers  laquelle  un 
entant  tend  les  bras,  est,  à  cet 


Vernis-mou 


égard,  tout  à  fait  caractéris- 
tique, dans  ses   accents  de 


43 


trouvé  dans  les  hardes  qui  vêtent  ces  corps  épais  aux  formes 
indiquées  avec  tant  de  lourdeur  simple,  une  beauté  de  cou- 
leur, et  l'amertume  s'en  est  adoucie.  Et  dans  V Enterrement , 
la  planche  admirable  qui  rappelle  la  toile  magistrale  exposée 
au  Salon  de  1893,  malgré  l'éloquence  tragique  du  sujet, 
malgré  la  tristesse  indicible  du  paysage,  l'artiste,  qui  se  re- 
trouve devant  la  nature,  ne  songe  plus  au  sarcasme  :  dans  ses 

figures  merveilleusement  grou- 
pées en  un  mouvement  de  si 
pesante,  de  si  navrante  soumis- 
sion au  destin,  les  formes  sont 
paisibles  et  normales. 

Laermans  est  ainsi,  au  dé- 
but de  sa  carrière,  constamment 
hésitant.  Il  compose  les  étranges, 
les  morbides  dessins  pour  les 
Fleurs  du  mal  où  la  beauté  hu- 
maine souillée,  meurtrie,  dou- 
loureuse, grimace  et  se  contor- 
sionne  en  des  angoisses  et  des 
ricanements,  ces  six  dessins  aux 
nus  modelés  à  la  sanguine  sur 
des  fonds  noirs  d'où  la  nature  est  absente  et  où  surgissent 
des  tours  de  cathédrales,  des  guillotines  et  d  autres  accessoires 
tragiquement  symboliques.  A  la  même  époque,  son  imagi- 
nation enfante  ces  bizarreries  blasphématoires,  exécutées 
d'ailleurs  avec  science,  et  avec  la  même  science  il  peint  de 
sages,  de  consciencieuses  études  dans  lesquelles  s'annonce 

44 


Croquis 


confusément  sa  personnalité  définitive,  telle  cette  tête  d'ou- 
vrier, scrupuleusement  réaliste,  qui  date  de  i8go. 

Ses  premières  expositions  refléteront  l'incertitude  de 
l'orientation.  C'est  au  Voorwaerts  --  le  cercle  où  débutent 
avec  lui  Gilsoul,  Gouweloos,  Paul  Rlieck,  —  qu'il  expose 
pour  la  première  fois,  en  1891,  à  vingt-sept  ans.  Il  y  a  là 
deux  toiles  :  AiiVillage,  un  dessin  :  Satan,  et  un  cadre  d'eaux- 
fortes.  L'artiste  se  débat  entre  les  inspirations  littéraires  et 
celles  de  la  simple  nature.  Cela  durera  plusieurs  années.  En 
1892,  à  côté  de  toiles  :  —  les  Politiques  du  village,  le  Village 
qui  sommeille,  Y  Idylle  campagnarde,  il  y  aura  des  esquisses  et 
des  dessins  aux  titres  imprégnés  de  littérature  :  Hymne  charnel, 
Être  poète..,,  Fin  de  siècle;  et  il  y  aura  une  délicieuse,  une 
admirable  étude  peinte  :  Réflexions  et  Reflets,  un  portrait  de 
jeune  fille  au  buste  demi  nu,  merveille  de  matière  lumineuse 
et  nacrée,  de  pureté  pensive. 

Dès  cette  exposition  la  personnalité  se  précise  et  l'histoire 
de  l'œuvre  à  venir  s'indique.  Deux  tendances,  deux  courants 
d'aspiration  se  combattent;  l'artiste  est  tiraillé  entre  l'influence 
des  lectures  et  celle  des  souvenirs,  sans  cesse  rafraîchis,  de  la 
contemplation.  La  première  agit  souverainement  quand  il 
dessine,  et  quelquefois  l'obsède  encore  quand  il  peint.  Cer- 
taines de  ses  toiles,  comme  le  Plain-Chant ,  sont  nées  d'une 
intention  de  raillerie;  et  les  figures  y  sont  très  peu  peintes,  la 
matière  est  mince.  11  y  a  bien  des  recherches  heureuses 
d'harmonie  de  couleur,  mais  il  n'y  a  point  de  volupté  dans 
les  choses;  et  quand  il  n'est  point  entraîné  par  cette  volupté, 
l'artiste  cède  au  besoin  d'outrer  l'expression  en  accentuant  les 
lignes  jusqu'à  la  caricature.  Lorsqu'il  subit  cette  volupté. 


45 


comme  devant  les  chairs  lumineuses  et  fermes  de  la  jeune 
fille  au  portrait  de  laquelle  il  donne  ce  titre  recueilli  : 
Réflexions  et  Reflets,  les  lignes  s'épurent  et  les  formes  devien- 
nent paisibles. 

Et  l'heure  vient  enfin  où  le  peintre  ne  cherche  plus  ses 
sujets,  où  la  conception  devient  spontanée  et  très  simple. 
Même,  le  peintre  en  arrive,  peut-être  sans  s'en  douter,  à 
répéter  constamment  les  mêmes  thèmes.  Combien  de  fois 
a-t-il  peint  ou  dessiné  ou  gravé  dans  le  cuivre  l'Enterrement 
au  village  ?  Combien  de  fois  l'enfant  dans  les  bras  d'une  matro- 
ne? Combien  de  fois  les  chemineaux,  les  masures  au  bord 
de  l'eau  ou  les  paysans  revenant  du  travail  avec  le  couple 
jeune  marchant  vers  l'amour?  Les  titres  changent,  ces  titres 
souvent  si  étranges,  enfermant  un  peu  de  mystère  —  l'Eau 
songeuse,  l'Eau  qui  sommeille,  la  Tribu  prophétique,  le 
Chemin  du  Repos  — ,  et  ils  disent  l'infinie  variété  des  expres- 
sions fournies  par  les  mêmes  choses  et  les  mêmes  faits,  selon 
les  aspects  de  la  lumière  et  de  la  couleur,  selon  le  rythme 
des  gestes  et  des  harmonies  imprimées  aux  objets. 

La  pensée,  dans  l'œuvre  de  Laermans,  n'est  plus  dans  la 
composition  laborieuse  et  subtile  :  elle  surgit  d'une  figure  ou 
d'un  paysage,  s'impose  à  l'esprit  par  l'imperceptible  et  générale 
empreinte  que  l'émotion  de  l'artiste  lui  fait  subir  et  que  pa- 
tiemment, savamment,  il  sait  mesurer,  en  un  travail  recueilli 
et  sur  lequel  passe  le  temps. 

L'œuvre  demeure  toujours  au  moins  six  mois  sur  le 
chevalet.  Les  figures,  ces  figures  que  l'on  dit  parfois  som- 
maires, subissent  d'incessantes  modifications.  Le  tableau 
achevé  se  couvrira  de  surcharges  à  la  craie  blanche,  de  lignes 


46 


essayant  des  mouvements,  corrigeant  le  dessin  ;  dix  fois,  vingt 
fois  sera  changée  la  combinaison  des  tons,  la  forme  d'une 
image,  avant  que  se  dégage  enfin  l'harmonie  en  laquelle  sera 
formulée  avec  force  l'expression  poursuivie,  avant  que  la 
pâte  et  les  glacis  aient  donné  à  chaque  chose  sa  nuance  de 
volupté,  et  que  le  tableau  ait  pris  cette  consistance  satinée 
sur  laquelle  le  peintre  aime  promener  une  main  caressante. 
Je  sais  un  tableau,  le  plus  grand  que  Laermans  ait  jamais 
entrepris,  qui,  terminé,  n'a  jamais  été  montré,  attend  depuis 
quatre  ans  les  m.odifications  qui  doivent  le  rendre  définitif. 

Par  ce  travail  lent,  par  cette  longue  étude  du  langage  de 
chaque  œuvre,  des  sujets  analogues  fournissent  des  œuvres 
très  différentes  ;  c'est  ainsi  que.  sans  recherche  d'idées,  sans 
élaboration  de  composition  aux  symboles  compliqués,  par  la 
seule  éloquence  de  la  lumière,  de  la  couleur  et  des  lignes,  la 
pensée  d'un  peintre  peut  se  renouveler  à  l'infini,  comme  peut 
se  renouveler  notre  émotion  devant  le  même  paysage,  au 
caprice  de  l'heure  qui  transfigure  et  conduit  nos  idées  par 
tous  les  chemins. 

Les  expositions  maintenant  se  succéderont,  aux  Salons 
triennaux,  à  la  Libre  Esthétique,  au  Cercle  Pour  L'Art,  en 
Allemagne  où  le  peintre  sera  très  vite  fort  apprécié  ;  et  elles 
marqueront  l'évolution  de  la  personnalité  par  la  lente  victoire 
de  l'une  tendance  sur  l'autre.  Le  sarcasme  d'abord  s'effacera 
pour  faire  place  à  un  sentiment  plus  noble,  fait  de  pitié  et  de 
révolte.  Et  nous  verrons  le  Soir  de  Grève,  et  puis  les  Emi- 
grants,  et  des  paysages  écrasants  et  sournois,  comme  VEmi 
songeuse.  Mais  dans  ces  œuvres  aux  intentions  moins  com- 
pliquées, dominées  toutes   par  une  même  impression  de 


47 


fatalité  irrésistible,  de  force  occulte  et  redoutable,  —  la  même 
force  qui  pousse  les  foules  au  mouvement  machinal,  que  la 
composition  savante  et  l'étude  sagace  du  geste  évoquent  avec 
tant  d'intensité,  et  qui  passe,  furtive,  insaisissable  et  mena- 
çante dans  VEau  songeuse,  —  dans  ces  œuvres  les  réalités 
plastiques,  de  plus  en  plus  domineront,  vêtiront  les  intentions. 
Chaque  fois  qu'il  y  aura  plus  de  somptuosité  d'harmonie 
dans  la  couleur  acre,  chaque  fois  l'exagération  des  formes  et 
des  lignes  s'atténuera. 


de  celle-ci,  cette  cruche  de  grès  sera  une  chaude  tache  de 
joie,  ses  gris  et  ses  bleus  seront  peints  en  une  matière  forte, 
en  une  matière  grasse,  en  laquelle  passe  une  palpitation.  Ou 
bien  ce  sera  le  fichu  blanc  d'une  femme,  formant  avec  un 
noir  et  un  rouge  du  vêtement  une  symphonie  simple  et  res- 
plendissante, avec  des  chatoiements  veloutés  ;  ou  ce  sera  cette 
pierre  sur  la  terre  pauvre  d'un  guéret,  ou  ce  panier  d'osier 


Croquis 


Et  dans  les  plus  violentes,  dans  les 
plus  douloureuses,  les  plus  menaçantes 
des  compositions  de  l'artiste,  dans  celles 
qui  semblent  le  plus  âprement  accuser  la 
nature  et  l'action  des  hommes,  il  y  aura, 
presque  toujours,  un  morceau  de  joie  vo- 
luptueuse, un  coin  de  saveur  gourmande. 
Il  y  aura  cette  cruche  de  grès  qui,  dans 
un  si  grand  nombre  de  tableaux,  réap- 
paraît, comme  une  signature  ;  quelle  que 
soit  l'éloquence  de  la  composition,  quelle 
que  soit  la  facture  de  l'œuvre,  si  pathé- 
tiquement triste  que  soit  la  signification 


48 


porté  par  une  femme,  ou  ce  mur  blanc  éclatant  dont  le  crépi 
empruntera  une  opulence  de  gemme  au  pâle  rayon  de  soleil 
qui  le  lèche.  Toujours  il  y  aura  ce  coin  de  matière  peint 
avec  un  recueillement  ardent  et  méticuleux,  avec  une  sou- 
daine joie  de  vie  physique. 

A  mesure  que  l'artiste  avancera  vers  la  maturité,  cette 
joie  matérielle  envahira  davantage  ses  conceptions.  Le  métier 
des  études  du  début,  le  métier  acquis  patiemment  dans  les 
premières  révélations  de  la  beauté  des  choses,  régnera  sur  la 
pensée  et  la  transfigurera  ;  le  peintre,  le  peintre  heureux  de 
voir,  le  peintre  exalté  par  la  communion  vaste  du  monde, 
dominera  l'intellectuel  refléchi.  Et  dans  les  conceptions  les 
plus  désolées,  dans  ce  Mort  qui  dit  la  déchéance  humaine, 
les  choses  parleront  quand  même,  dans  leur  matière,  dans 
leur  couleur,  avec  une  âpre  volupté  ;  dans  le  Cimetière  de 
Campagne,  le  chef-d'œuvre  exposé  en  1906  au  Cercle  Pour 
l'Art,  la  lumière  blafarde  fera  s'éveiller  dans  le  gazon  des 
tertres,  dans  la  froide  pierre  tombale,  d'étranges  splendeurs  en 
lesquelles  les  yeux  pourront  puiser,  malgré  tout,  l'impression 
du  bonheur  de  vivre. 

On  a  dit  souvent  que  Laermans  ressemble  à  Breughel, 
Il  admire  pieusement  le  vieux  maître  flamand.  Mais  vous 
chercherez  vainement  dans  son  œuvre  quelque  idée  qu'il  lui 
ait  empruntée.  Il  lui  ressemble,  c'est  évident,  mais  c'est  par 
cette  somptuosité  de  la  vision  que  nous  venons  d'analyser  ; 
il  lui  ressemble  parce  qu'il  est  de  sa  famille,  de  sa  race,  parce 
qu'il  peint  les  mêmes  hommes,  dans  le  même  paysage,  avec 
la  même  sensibilité  de  Flamand,  avec  la  même  passion  de 
peintre,  avec,  surtout,  la  même  faculté  de  faire  palpiter  la  vie 


49 


dans  la  matière  inerte,  la  même  puissance  de  défense  contre 
le  pessimisme  devant  les  plus  attristants  spectacles. 

Il  lui  ressemble  par  les  facultés  de  peintre;  mais  sa  pen- 
sée s'écarte  nettement  de  celle  du  vieux  maître.  Chez  celui-ci 
il  y  a  de  la  satire,  cette  sorte  de  grosse  joie  sans  façon  qui 
secoue  les  ventres  plus  que  les  nerfs  et  le  cerveau,  Breughel 
prend  le  parti  de  rire  des  tristesses  humaines.  Breughel  est 
tumultueux,  bruyant,  ses  toiles  souvent  chantent  des  chan- 
sons bachiques  et  des  chansons  grivoises.  Laermans  est 
silencieux  ;  même  ses  foules  sont  muettes,  leur  éloquence  est 
de  volonté  crispée  ;  si  une  clameur  monte  quelquefois  sourde- 
ment de  ses  compositions,  c'est  un  rude  chant  de  jacquerie, 
La  sensualité  de  ses  couples  est  grave  ;  son  Ivrogne  est  entouré 
des  victimes  de  son  ivresse.  Devant  les  tristesses  humaines, 
Laermans  ne  rit  pas.  Il  se  révolte  souvent.  Il  pense  avec 
austérité  toujours. 


5o 


VII. 


L'art  de  Laermans  est-il  pessimiste  ?  A  cette  question 
on  répond  oui,  généralement.  On  répond  cela  quand  on  juge 
une  œuvre  sur  les  sujets  de  ses  tableaux.  Evidemment,  ces 
sujets  sont  tristes,  souvent  même  tragiques.  Mais  il  faut  distin- 
guer entre  la  tristesse  éprouvée  devant  certains  spectacles,  et 
le  pessimisme.  On  confond  trop  souvent.  On  peut  être  plein 
de  pitié  et  de  révolte,  on  peut  même  avoir  souvent  des  larmes 
dans  les  yeux,  et  n'être  pas  du  tout  pessimiste. 

Il  est  certain  que  chez  Laermans,  l'homme  n'est  pas 
pessimiste.  Nous  verrons  tout  à  Iheure  si  l'artiste  l'est. 
L'homme  ne  l'est  pas.  Il  est  merveilleux  qu'un  être  atteint 
tout  jeune  par  un  désastre  —  cette  surdité  qui  l'isole  —  ne 
soit  pas  devenu  la  proie  du  pessimisme,  n'ait  pas  maudit  la 
vie.  C'est  merveilleux,  mais  ce  n'est  point  du  tout  exceptionnel. 
Les  hommes  qui  se  plaignent  le  plus  de  la  vie,  ne  sont  pas 
ceux  qui  connurent  le  plus  la  souffrance.  Les  pessimistes  sont 
souvent  des  heureux  qui  s'ennuient,  qui  durent  fournir  très 
peu  d'eff'orts,  eurent  facilement  à  leur  portée  toutes  les  joies, 
et,  n'ayant  rien  dû  conquérir,  n'attachent  de  prix  à  rien. 
L'histoire  nous  dit  que  la  plupart  des  artistes  pessimistes  sont 
parmi  ceux  qui  durent  très  peu  lutter,  à  qui  la  destinée  fut 


5i 


généreuse  ;  même  certains  qui  évoluèrent,  connurent  l'art  le 
plus  confiant  aux  heures  les  plus  pénibles  de  leur  carrière. 
La  souffrance  et  la  lutte  laissent  peu  de  temps  aux  stériles 
désespérances  ;  elles  donnent  à  la  tristesse,  aux  inquiétudes  et 
aux  regrets  des  objets  précis,  limités  ;  et  ceux  qui  les  connais- 
sent ont  mieux  à  faire  que  d'accuser  la  nature  et  de  chercher 
l'inaccessible.  La  lutte  fait  connaître  la  conquête,  et  qui  a 
éprouvé  la  joie  que  donne  celle-ci  n'est  pas  pessimiste.  Le 
pessimisme  est  de  la  tristesse  sans  sujet.  Quand  l'homme  est 
triste  pour  des  faits  tangibles,  pour  des  causes  définies,  pour 
des  atteintes  directes  à  son  bonheur  bu  à  celui  des  autres,  il 
conçoit  le  bonheur  possible  par  la  suppression  ou  l'atténuation 
de  ces  causes  :  il  a  un  but  et  par  conséquent  un  espoir.  L'in- 
fortune rend  combattif  et  le  combattif  peut  être  un  révolté,  un 
exaspéré,  pas  un  désespéré. 

Le  jeune  homme  qui  est  devenu  sourd  à  onze  ans,  peut 
se  rebeller  devant  cette  injustice  de  la  nature  ;  mais,  pour 
devenir  ce  qu'il  rêve  d'être,  il  aura  trop  à  lutter,  il  aura 
trop  souvent  l'orgueil  de  la  douloureuse  victoire,  pour  ne  pas 
goûter  à  vivre  des  joies  intenses.  Ce  n'est  pas  ce  que  donne 
bénévolement  la  vie,  c'est  ce  qu'on  lui  prend  qui  la  fait 
grisante.  Et  même,  chez  Laermans,  on  peut  constater  que  c'est 
après  qu'est  franchie  la  plus  pénible  étape,  —  celle  où  il  a 
fallu  apprendre  malgré  l'obstacle  de  la  mutilation,  —  c'est  à 
l'heure  où  l'effort  un  moment  a  pu  s'arrêter,  à  l'heure  du 
premier  succès,  qu'un  fléchissement  se  produit  dans  la  con- 
fiance ;  à  ce  moment-là,  alors  qu'en  plein  labeur  douloureux 
il  n'a  regardé  et  peint  qu'avec  de  la  joie  gourmande  mêlée  à 
l'amertume,  il  sera  passagèrement  dominé  par  le  mal  que  le 


53 


génie  de  Baudelaire  a  cruellement  propagé,  et  il  donnera  ses 
âcres  compositions  inspirées  par  les  Fleurs  dit  mal. 

Dans  son  admirable  étude  sur  Rubens,  Fromentin  fait, 
à  propos  de  la  Montée  au  Calvaire  et  du  Martyre  de  saint  Lie'vin, 
une  constatation  curieuse.  Après  avoir  décrit  le  premier  de  ces 
tableaux,  après  avoir  dit  son  sujet  douloureux,  l'auteur  des 
Maîtres  d'autre/ois  remarque  :  «  Et  malgré  ce  bois  d'infamie, 
ces  femmes  en  larmes  et  en  deuil,  ce  supplicié  rampant  sur 
ses  genoux,  dont  la  bouche  haletante,  les  tempes  humides, 
les  yeux  effarés  font  pitié,  malgré  l'épouvante,  les  cris,  la  mort 
à  deux  pas,  il  est  clair,  pour  qui  sait  voir,  que  cette  pompe 
équestre,  ces  bannières  au  vent,  ce  centurion  en  cuirasse  qui 
se  renverse  sur  son  cheval  avec  un  beau  geste  et  dans  lequel 
on  reconnaît  les  traits  de  Rubens,  tout  cela  fait  oublier  le  sup- 
plice et  donne  la  plus  manifeste  idée  d'un  triomphe. 

Après  avoir  exprimé  l'horreur  du  sujet  du  Martyre  de 
saint  Lie'vin,  Fromentin  constate  encore  :  «  Ne  voyez  que  le 
cheval  blanc  qui  se  cabre  sur  un  ciel  blanc,  la  chape  d'or  de 
l'évêque,  les  chiens  tachés  de  noir  et  de  blanc,  quatre  ou  cinq 
noirs,  deux  toques  rouges,  les  faces  ardentes,  au  poil  roux,  el 
tout  autour,  dans  le  vaste  champ  de  la  toile,  le  silencieux 
concert  des  gris,  des  azurs,  des  argents  clairs  ou  sombres  — 
et  vous  n'aurez  plus  que  le  sentiment  d'une  harmonie  radieuse, 
la  plus  admirable  peut-être  et  la  plus  inattendue  dont  Rubens 
se  soit  jamais  servi  pour  exprimer,  ou,  si  vous  voulez,  pour 
faire  excuser  une  scène  d'horreur 

Fromentin  voit  là  «  des  contradictions  qui  se  font  équi- 
libre et  qui  constituent  un  génie  à  part  «. 

Dans  cette  déduction  ne  se  trompe-t-il  pas? 


53 


Rubens  est  un  génie  supérieur;  mais  à  considérer  tout 
Tart  de  sa  race,  ce  n'est  pas  un  génie  à  part.  Il  a  simplement, 
à  un  degré  de  merveilleuse  puissance,  la  vision  de  sa  race. 
Cette  vision  s'est  manifestée  avant  lui,  et  après  lui  elle  sub- 
sistera. N'importe  quelle  Pièta  d'un  primitif  flamand  montrera, 
avec  une  splendeur  moins  dominatrice  sans  doute,  mais  mon- 
trera tout  de  même  la  volonté  d'exprimer  la  tristesse  d'une 
idée  dans  des  formes  et  dans  une  couleur  voluptueuses,  de 
dominer  par  la  joie  des  choses  la  mélancolie  de  la  pensée.  Le 
vieux  Breughel  enveloppe,  dans  la  Parabole  des  aveugles,  les 
plus  lamentables  misères  humaines  de  la  joie  intense  des  somp- 
tueuses harmonies.  Et  ce  dédoublement  de  la  vision  qui  ne 
laisse  jamais  se  confondre  l'impression  de  la  pensée  avec  celle 
des  yeux  et  fait  cette  dernière  toujours  heureuse  et  ardente, 
n'est  pas  particulier  à  Rubens,  n'a  pas  disparu  avec  le  pro- 
digieux artiste.  Il  constitue  toujours  la  qualité  la  plus  carac- 
téristique des  peintres  flamands  d'aujourd'hui.  C'est  cette 
qualité,  faite  de  la  contradiction  constatée  par  Fromentin,  qui 
rend  certains  d'entre  eux  un  peu  déroutants  et  les  impose 
parfois  à  l'admiration  de  ceux-là  même  qui  se  rebellent  devant 
telles  de  leurs  expressions. 

Il  y  a,  au  fond  de  la  race,  un  optimisme,  une  joie  de 
vivre  quand  même  qui  maîtrisent  toute  autre  tendance.  Quel 
que  soit  le  spectacle  qu'ils  contemplent,  quels  que  soient  les 
événements,  que  ceux-ci  inspirent  de  l'héroïsme,  de  la  terreur, 
de  la  sérénité,  de  la  joie  ou  de  la  pitié,  la  plupart  des  peintres 
flamands  trouveront  toujours  dans  ces  spectacles  une  beauté 
de  couleur  ou  de  forme  ;  et  ils  ne  la  sacrifieront  point  à  l'im- 
pression à  traduire  :  tout  leur  effort  tendra  à  accorder  cette 


54 


impression  à  cette  beauté  matérielle,  même  si  la  première  est 
triste.  C'est  ainsi  que  leur  art  n'est  jamais  pessimiste:  des  joies 
consolantes  entourent  toujours  les  douleurs,  souvent  même 
celles-ci  se  confondent  avec  celles-là  et  sont  par  elles  dominées. 

Le  vrai  réalisme,  d'ailleurs,  n'est-il  pas  là?  Rien  n'est, 
autour  de  nous,  entièrement  laid,  tout  à  fait  désespérant;  sur 
les  plus  tristes  choses  la  lumière  suffit  à  jeter  de  l'espoir.  Ce 
qui  est  désolant  n'est  généralement  que  l'œuvre  passagère  des 
hommes;  et  la  nature  dans  laquelle  ceux-ci  vivent  leurs 
inquiétudes  et  leurs  erreurs,  promet  toujours  des  réparations; 
autour  des  plus  tristes  yeux  il  y  a  de  la  chair  qui  rappelle  la 
pérennité  de  la  vie  et  toutes  les  compensations  qu'elle  peut 
apporter. 

Laermans  peint  les  paysans  avec  une  pitié  que  l'on 
pourrait  dire  impitoyable  si  les  deux  mots  ne  semblaient  pas 
mutuellement  se  détruire.  Dans  la  fidélité  de  son  réalisme,  il 
y  a  une  âpreté  qui  accentue  les  misères  physiques  jusqu'à  la 
déformation.  On  lui  a  reproché,  on  lui  reproche  encore  d'être 
souvent  caricatural.  Et  il  est  évident  qu'en  certaines  de  ses 
premières  œuvres,  il  accentua  jusqu'à  l'invraisemblable  les 
lignes  et  les  formes  lourdes,  la  disgrâce  physique  des  paysans 
qu'il  peignait. 

Ces  paysans  ne  sont  pas  ceux  de  Millet  ;  ce  ne  sont  pas  les 
figures  frustes,  mais  équilibrées  et  paisibles  de  VAngeliis  ou 
des  Glaneuses.  Les  paysans  de  Millet  sont  enveloppés  d'une 
sérénité;  ce  sont  ceux  de  la  pleine  campagne,  résignés  dans 
la  nature,  n'ayant  jamais  soupçonné  qu'elle,  soumis  à  ses 
caresses  apaisantes.  Ceux  de  Laermans,  ce  sont  les  rustres 
mâtinés  de  la  campagne  proche  de  la  ville,  et  les  artisans  de 


55 


la  banlieue  ;  ce  sont  des  prolétaires  qui  savent  la  lourdeur 
ingrate  de  leur  sort,  qui  ploient  sous  la  tâche,  que  la  révolte 
guette  parce  que  la  misère  les  étreint  sur  le  sol  que  les  empié- 
tements de  la  cité  insensiblement  stérilisent.  Ce  sont  des  émi- 
grants  en  foule  inquiète  ;  ce  sont  des  parias  allant  on  ne  sait 
où,  vers  le  pain  problématique,  traînant  des  enfants  que 
l'anémie  et  la  scrofule  ont  marqués  de  leurs  tares;  ce  sont 
des  chemineaux  loqueteux,  à  qui  le  village,  le  village  défiant 
et  égoïste,  est  inhospitalier;  ce  sont  des  infirmes,  des  aveugles. 
Millet  est  pénétré  par  Jacques  Callot. 

Une  tristesse  exaspérée,  une  révolte  s'expriment  en  ces 
toiles.  Elles  ont  une  éloquence  imprécatoire,  anathématique, 
admirablement  conduite,  mesurée.  Car  elle  est  voulue.  C'est 
délibérément  que  l'artiste  accentue  jusqu'à  la  violence  la 
disgrâce  injuste  infligée  à  ses  modèles  par  le  labeur,  par  le 
travail  écrasant  et  sans  compensations.  Car  il  sait,  il  sait 
merveilleusement  la  forme  serrée,  la  matière  tendre  et  l'ex- 
pression paisible.  Ses  premières  études,  et  le  profil  de  jeune 
fille  que  nous  avons  cité,  et  le  nu  harmonieux  du  Bain,  et 
celui  de  telle  eau-forte  où  un  trait  aigu  alourdit  volontaire- 
ment la  forme  ample  savamment  flétrie  d'un  corps  de  femme 
qui  garde  le  rythme  d'un  souvenir  de  beauté,  tout  cela 
l'atteste.  Le  profil  de  jeune  fille  est  un  chef-d'œuvre  de  pureté 
lumineuse  et  nacrée,  de  simplicité  voluptueuse.  L'artiste  sait. 
Et  ce  n'est  pas  par  impuissance,  par  maladresse  à  faire  noble 
et  pur,  ce  n'est  pas  non  plus  pour  atteindre  facilement  au 
caractère  qu'il  montre  avec  rudesse  des  difformités.  Il  est 
certain  qu'une  pitié  révoltée  l'agite  devant  les  êtres  aux- 
quels son  art  s'est  attaché,  et  qu'il  présente  leur  disgrâce  aux 


56 


autres  hommes  comme  une  protestation,  atteignant  non  point 
ses  modèles,  mais  la  société  dont  ils  sont  les  membres  débiles. 

II  a  tout  pénétré  de  la  tristesse  des  vies  qu'il  contemple 
depuis  qu'il  sait  regarder  :  celle  du  décor  de  banlieue,  celle 
des  demeures  lamentables,  des  masures,  et  celle  des  êtres  qui 
les  hantent.  Et  il  a  réfléchi  puisqu'il  possède  une  culture 
littéraire  sérieuse.  Il  est  donc  incontestable  qu'il  n'est  pas 
guidé  par  le  seul  instinct,  qu'il  choisit  très  consciemment  ses 
sujets,  qu'il  démêle  parlaitemcnt  leur  signification  amère,  leur 
éloquence  de  clameur  douloureuse  et  menaçante.  Il  y  a  dans 
son  art  une  part  évidente  de  subjectivité. 

Or,  il  reste  tout  de  même  voluptueusement  objectif.  Cet 
art  inspiré  de  tristesse  emprunte  toute  sa  puissance  à  de  la 
resplendissante  beauté,  fait  surgir  des  plus  lamentables  spec- 
tacles une  joie  physique  intense  ;  tandis  que  l'esprit  est  en 
deuil,  les  yeux  sont  en  fête,  et  leur  consolante  exaltation,  sur 
la  douleur  crée  de  l'espoir. 

Un  vrai  peintre  peut  être  triste  par  la  pensée  :  il  sera  tou- 
jours heureux  par  les  yeux.  Lorsque  Laermans  voit  passer, 
dans  les  rues  de  son  faubourg,  quelque  loqueteux  pitoyable  à 
la  difforme  silhouette,  s'il  voit,  en  cette  victime,  se  formuler 
des  problèmes  sociaux,  il  ne  s'isole  point  dans  les  pensées  que 
cette  évocation  provoque  :  il  ne  cesse  pas  de  regarder,  de 
contempler  cette  figure  qui  passe,  et  de  la  voir  dans  le  cadre 
qui  l'entoure.  Et  soudain  ses  yeux  s'extasient,  et  il  s'écrie,  en 
montrant  les  haillons  : 

—  Oh  !  ce  rouge  et  ce  noir  ! 

Ou  bien,  son  regard  allant  plus  loin,  vers  l'horizon, 
vers  la  campagne  proche,  s'apaisera  sous  la  contemplation 


57 


du  ciel  décoré  par  des  silhouettes  d'arbres,  ou  s'arrêtera, 
ébloui,  sur  un  mur  blanc  lépreux  incendié  de  soleil,  sur  un 
rayon  de  lumière  pénétrant  l'obscurité  d'un  couloir,  sur  les 
marches  usées  de  l'escalier  sale  d'une  demeure  lugubrement 
pauvre.  F^t  il  verra  d'inépuisables  subtilités  de  couleur. 

Autour  de  toutes  les  tristesses,  même  en  elles,  Laermans 
voit  les  beautés  que  la  nature  dispense  II  y  en  a  partout.  Et 
c'est  pour  cela  qu'un  peintre  peut  être  grave,  ou  mélancolique, 
ou  révolté,  mais  ne  peut  pas  être  pessimiste  :  il  évoque  non 
pas  ce  que  l'on  pense,  mais  ce  que  l'on  voit  ;  et  dans  ce  que 
l'on  voit  il  y  a  toujours  une  part  de  joie,  quelque  chose  toujours 
rappelle  que  la  tristesse  ne  peut  pas  être  éternelle,  qu'elle  est 
non  point  une  loi  de  la  nature,  mais  presque  toujours  une 
erreur  humaine. 

Devant  un  tableau  de  Laermans,  on  peut  éprouver  une 
subite  angoisse,  le  frôlement  furtif  d'une  menace,  d'un  danger; 
on  peut  aussi  .se  sentir  emporté  par  une  révolte  ;  mais  on  ne 
sera  pas  désespéré.  Des  beautés  apaisantes,  humbles  mais 
splendides,  amortissent,  adoucissent,  circonscrivent  l'amer- 
tume, donnent  à  la  douleur  sa  véritable  attribution.  Cela  est 
plus  évident  à  mesure  que  l'artiste  mûrit,  qu'il  se  débarrasse 
de  la  fougue  outrancière  des  débutants  échappant  de  parti-pris, 
en  les  rejetant  comme  des  conventions  et  des  entraves,  aux 
influences  de  la  race.  Ces  influences,  nous  avons  vu  comment 
elles  enveloppèrent  la  jeunesse  de  l'artiste,  comment  elles  ne 
l'abandonnèrent  jamais  complètement.  Dans  la  maturité  elles 
s'accordent,  définitivement,  à  la  personnalité  conquise. 

Nous  avons  vu  que,  dans  les  premières  œuvres  portant  la 
marque  de  cette  personnalité,  même  dans  les  plus  violemment 


58 


imprécatoires  comme  la  Grève,  dans  les  plus  anxieuses  comme 
Y  Eau  songeuse,  comme  la  Nuée  inquiétante,  dans  les  plus  dra- 
matiques comme  ÏEnterrement  au  village,  et  les  Emigrants, 
même  en  ces  toiles  où  passent,  dans  le  mouvement  des  foules 
ruées  ou  des  foules  inconscientes,  des  cris  de  violence  et  de 
détresse,  même  dans  les  paysages  où  la  nature  est  écrasante 
elle  aussi,  semble  complice  des  cruautés  humaines,  il  y  a  tout 
de  même  une  joie  amère  :  les  harmonies  de  couleur  qui,  en 
plein  drame,  font  goûter  des  saveurs  fortes  et  raffinées  ;  le 
rayon  de  soleil  qui  glisse  et  lèche  les  pierres  du  rude  chemin  ; 
la  ligne  d'un  arbre  dans  un  poudroiement  lointain  de  lumière 
rappelant  qu'il  ne  fait  pas  tragique  toujours  et  partout  ;  les 
formes  et  le  mouvement  d'une  femme  perdue  dans  la  foule  : 
bonheur  possible;  l'émail  de  la  matière  onctueuse  dont  sont 
faites  les  choses  les  plus  sombres  et  qui  donne  le  désir  d'une 
caresse. 

Ainsi  se  retrouve  dans  l'art  de  Laermans  la  contradiction 
apparente  découverte  par  Fromentin,  et  qui  n'est  pas  une 
contradiction,  mais  au  contraire  un  phénomène  de  parfait 
équilibre. 

Cet  équilibre  se  fait,  du  reste,  pins  complet  et  plus 
paisible  à  mesure  que  se  développe  l'artiste  et  que  s'épanouit 
son  talent.  Après  le  pessimisme  passager,  il  a  exprimé  dans 
des  foules  animées  d'un  mouvement  puissant,  la  révolte,  —  et 
dans  la  révolte  il  y  a  de  l'espoir  éperdu;  il  a  ensuite  graduel- 
lement calmé  l'outrance  de  disgrâce  infligée  à  ses  modèles. 
Ses  derniers  tableaux  ;  l'Aveugle  et  le  Paralytique,  où  la  tête  du 
premier  des  deux  personnages  a  tant  de  fruste  noblesse,  les 
Foins,  peints  récemment  en  Campine  et  où  telle  figure  de 


59 


gamin  offre  une  grandeur  si  paisible,  sont,  à  cet  égard,  signi- 
ficatifs; enfin  le  fond  de  paysage  de  la  plupart  de  ses  toiles, 
depuis  Y  Aveugle  surtout,  est  devenu  gravement  radieux.  Il 
faut  anal3'ser  toujours  le  paysage  chez  Laermans  qui  est  un 
grand  paysagiste  synthétique.  Au  premier  plan  il  est  générale- 
ment pauvre,  triste,  peu  secourable,  exprime  la  détresse  de 
ceux  qui  vivent  près  de  lui.  Ces  peupliers,  maigres  et  courbés 
dans  un  mouvement  de  fuite,  que  l'on  retrouve  dans  la  plupart 
des  compositions,  sont  animés  de  la  même  inquiétude  que 
les  hommes,  tourmentés  de  la  même  oppression.  Mais  plus 
loin  apparaît  la  simple  nature  féconde,  comme  un  but  comme 
une  consolation,  comme  une  terre  promise,  comme  l'éter- 
nelle possibilité  du  bonheur  offert  aux  hommes.  Dans  le 
Bain,  il  semble  que  cette  terre  promise  soit  atteinte  :  le  nu 
lourdement  voluptueux  d'une  femme  du  peuple  frissonne 
doucement  dans  une  nature  humble  mais  sereine;  et,  de  la 
matière  veloutée,  de  la  prodigieuse  couleur,  montent  une 
ivresse,  un  trouble  sensuel,  rude  et  sain,  une  joie  physique 
que  l'on  retrouve  partout,  même  dans  le  Mort,  même  dans  le 
Cimetière,  une  joie  latente  qui  s'obstine  dans  toutes  les  évoca- 
tions de  la  vie  la  plus  écrasante,  et  qui  s'épanouit,  promet- 
teuse et  attirante,  dans  les  lointains  vers  lesquels  marchent 
les  travailleurs  très  las  et  les  chemineaux  farouches. 

Cette  joie  dans  le  drame  intense,  cette  joie  persistante 
des  choses,  cette  volupté  des  yeux,  font  de  Laermans,  coloriste 
somptueux,  l'un  des  plus  flamands  des  peintres  d'aujourd'hui, 
l'un  de  ceux  qui  expriment  le  mieux  leur  race  pensive,  sou- 
vent révoltée,  mais  tenacement  confiante  en  l'éblouissante 
nature,  marchant  toujours,  à  travers  les  douleurs,  vers  un 


60 


but.  Ce  but,  un  chemineau,  dans  un  des  derniers  tableaux 
de  Laermans,  le  montre,  dans  un  geste  indicateur  vers  l'hori- 
zon où  se  devinent  des  béatitudes.  L'art  qui  fait  ce  geste-là 
n'est  point  un  art  désespéré.  S'il  montre  la  douleur,  il  enseigne 
l'espérance  et  conseille  l'action. 


6i 


CATALOGUE  DE  L'ŒUVRE  D'EUGÈNE  LAERMANS 


Une  collection  d'eaux-fortes  au  Cabinet  des  Estampes,  à  Bruxelles. 

1889  —  Série  de  dessins  pour  les  l-leurs  du  mal. 

Portrait  d'enfant  (à  M™'  Brockmann). 
Les  Femmes  du  village. 
Pan,  esquisse  décorative. 
Même  composition  à  l'eau-forte. 
Les  Politiques  de  village. 

L'Enfant.  Dessin  en  couleurs  (à  M.  Des  Cressonnières). 

1890  —  Étude  de  jeune  fille. 

Portrait  d'un  bonhomme. 
Tête  d'ouvrier. 
Études  de  nu. 

189 1  —  Harmonies  du  silence  (à  M.  Loevensohn). 

Les  Foins. 
Matin  d'été. 
Germinal,  paysage. 
Ceux  de  mon  village. 

1892  —  Le  Soir  (i  M.  Ch.  Brunard). 

La  Prière  au  village  (à  M.  Deru,  Verviers). 

Sur  l'herbe  (à  M.  Edm.  Picard). 

La  Nuée,  esquisse  (à  M.  Emile  Verhaeren). 

Dans  le  sentier  (à  M.  J,  Vanderlinden). 

Les  Autorités  du  village  (à  M""'  Brockmann). 

Exode  de  villageois  (à  M™'  Brockmann). 

1893  —  L'Enterrement  au  village  (à  M.  Sam  Wiener). 

La  Flânerie  au  village  (à  M.  Romdenne). 

La  Nuée,  dessin  en  couleur  (à  M.  Eug.  Demolder). 

Fin  de  jour  (à  M.  de  Burlet). 


63 


1894  —  Les  Inconsolés  (à  M.  De  Greef). 

Une  Foule  (à  M.  Van  Mons). 
L'Enfant  (à  M.  Romdenne). 
Un  Soir  de  grève. 
Un  Coup  de  tonnerre. 
Les  Emigrants,  grande  esquisse. 
La  dernière  Récolte  (à  M.  E.  Otlet). 
Profil  de  jeune  fille  (à  M.  Sam  Wiener). 
L'Eau  qui  sommeille  (à  M.  Otlet). 
L'Ivrogne,  esquisse  (à  M.  Bueso). 

1895  —  Les  Deuillants. 

Les  Petits  et  les  Humbles. 
L'Homme  à  la  cruche  (à  M.  Mulpar,  Mons). 
Le  Printemps, 
L'Été, 

L'Automne, 
L'Hiver, 

1896  —  Les  Réprouvés  (à  M,  Charles  Brunard). 

Le  Repos  (à  M.  Gerhardt  Hauptmann,  Berlin). 

Kermesse. 

Vieil  Escalier. 

La  Tribu  prophétique. 

Les  Bicoques. 

La  Prière  du  soir  (au  Musée  de  Dresde). 

1897  —  Les  Mendiants,  esquisse. 

Les  Derniers  Croyants. 

La  Promenade  vespérale. 

Le  Sillon  (à  M.  Wolfram,  Dresde). 

Ma  Mère,  portrait. 

Les  Emigrants,  triptyque  (au  Musée  d'Anvers). 

1898  —  Mon  portrait. 

L'Aveugle  (à  M.  Sarrens). 
L'Ivrogne. 

Le  Chemin  du  Repos  (au  Musée  de  Bruxelles). 

Le  Matin  (à  M.  Bourotte). 

Cour  de  ferme  (à  M""*  W.  Picard). 


grandes  esquisses. 


L'Eau  songeuse  (au  Musée  de  Mons). 

1899  —  La  Nuée  inquiétante. 

Soir  d'été  (à  M.  Alexandre  Braun). 

Une  Panique,  épisode  de  guerre  (à  M.  A.  Boitte). 

Le  Sentier  (à  M.  Edm.  Picard). 

Fin  d'automne  (au  Musée  du  Luxembourg,  Paris). 

Le  Chemineau  (à  M.  Max  Hallet). 

Mélancolie  (à  M.  R.  Hottat). 

L'Ornière  (Collection  X...,  à  Dresde). 

Le  Semeur. 

Paysan,  dessin  en  couleur  (à  M.  Octave  Maus). 

1900  —  Un  Paria  (à  M.  Van  den  Nest). 

Les  Mendiants  (à  M.  R.  Hottat). 

Soleil  d'octobre  (à  M.  Huisman-Van  den  Nest). 

1901  —  Le  Bain  (à  M.  Kleyer,  Bruxelles). 

Au  Village  (Collection  Z...,  à  Berlin). 

1902  —  Le  Vaincu  (à  M.  De  Blieck,  à  Alost). 

Soir  paisible  (à  M.  M,  Vauthier). 
L'Aumône,  dessin  en  couleur. 
Les  Paysans,  esquisse. 

1903  —  L'Enterrement  (au  musée  d'Ixelles). 

L'Accident. 

L'Aube  (à  M.  R.  Hottat). 
Les  Paysans. 

1904  —  L'Église,  esquisse  (à  M.  Philippe  Wolfers). 

Terre  promise. 
Le  Mort. 

Étude  de  jeune  fille. 

1903  —  Les  Intrus  (au  musée  de  Liège). 

1904  —  Le  Retour  des  champs  (à  M.  le  Comte  de  Minerbi,  Venise). 

Un  Ciel  mouvant. 

Le  Village  recueilli  (à  M.  le  D"^  Rouffart). 
Le  Bord  de  l'eau. 

1905  —  Le  Cimetière  de  campagne  (à  M.  Stoclet). 

Dans  les  foins  (à  M.  R.  Hottat). 
Crépuscule. 

65 


La  Lutte. 

Le  Nouveau-né,  dessin  en  couleur  (à  M.  Tassel). 
L'Aveugle,  »  »        (à  M.  R.  Hottat). 

L'Hiver  (à  M.  Ernest  Solvay). 
L'Oasis. 

1906  —  L'Aveugle  et  le  Paralytique  (à  M.  R.  Hottat). 

Les  Meules  en  Campine. 
Un  Solitaire. 
Un  Vieux. 

L'Église  de  village  (à  M.  Speltinckx,  à  Gand). 

Les  Époux  (à  M.  Wattremez). 

Un  Crépuscule  (à  M.  le  D'  Gallemaerts). 

1907  —  La  Famille,  polyptyque. 

Vieux  Débris. 
Les  Défricheurs. 


66 


BIBLIOGRAPHIE 


Edmond  Picard.  —  L'Art  moderne. 
Octave  Maus.  —  Idem, 
Emile  Verhaeren.  —  Idem. 

Georges  Eekhoud.  —  Les  Entretiens  Politiques  et  Littéraires,  Paris, 

(25  octobre  1893.) 
Jules  Dujardin.  —  L'Art  flamand.  Tome  VI. 
Camille  Lemonnier.  —  L'École  belge  de  peinture. 
Gustave  Vanzype.  —  Nos  Peintres.  Tome  I. 

Id,  —  VArt  et  les  Artistes.  Paris  (janvier  1906). 

Sander  Pierron.  —  Études  d'art. 
E.  JoLY.  —  La  revue  Durendal.  Bruxelles. 
Marius-Ary  Leblond.  —  La  Revue.  Paris. 
E.  Muther  (traduction  Jean  De  Mot).  —  La  Peinture  belge. 
Robert  Breuer.  —  Die  Neue  tVelt.  Berlin.  (N°  i,  1906.) 

Id,         —  Geschrift  fur  bildende  Kunst.  Leipzig.  (Mars  1905.) 
Camille  Mauclair.  —  La  Revue  Bleue.  Paris. 


67 


TABLE  DES  PLANCHES  HORS  TEXTE 


Eugène  Laermans,  d'après  un  portrait  peint  par  lui-même.  En  frontispice. 


Dessin  pour  les  Fleurs  du  Mal     .    .    .  . 

âge 

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6 

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H 

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» 

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54 

» 

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58 

» 

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Anvers. 


—  Imprimerie  J.-E.  Buschmann,  Rempart  de  la  Porte  du  Rhin 


Collection  des  Artistes  Belges 
Contemporains 


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FERNAND  KHNOPFF 

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L.  DUMONT-WILDEN 

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gravure, en  phototypie  et  en  typogravure,  et  une  vingtaine 
de  reproductions  dans  le  texte. 

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Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  5o  exemplaires  de  luxe,  sur 
papier  Impérial  du  Japon,  texte  réimposé,  numérotés  de  i 
à  5o.  Ces  exemplaires  contiennent  une  pointe  sèche  originale 
signée  de  Fernand  Khnopflf  et  une  reproduction  en  héliogra- 
vure de  (c  V Impératrice  ». 

Prix  des  exemplaires  de  luxe  :  40  Francs. 


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papier  Impérial  du  Japon,  texte  réimposé,  numérotés  de  1  à 
5o.  Ces  exemplaires  contiennent  une  eau-forte  originale  de 
chacun  des  quatre  artistes  traités  dans  l'ouvrage. 

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Prix  :  10  francs. 

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papier  Impérial  du  Japon,  texte  réimposé,  numérotés  de 
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